Comme un réveil brutal dans une France épargnée depuis des années : l’affaire Merah a marqué en 2012 un tournant dans la lutte contre le terrorisme.

« Personne ne s’y attendait. C’est une enclume qui nous est tombée dessus », résumait fin 2016 le juge antiterroriste Christophe Tessier, un des magistrats instructeurs de l’affaire Merah, au cours d’un colloque.

Entre le 11 et le 19 mars 2012, Mohamed Merah, jeune jihadiste toulousain, assassine trois militaires, trois enfants et un enseignant juifs à Toulouse et Montauban, avant d’être abattu le 22 mars par la police.

L’affaire est exemplaire à maints égards : « C’est le premier attentat jihadiste en France depuis ceux du GIA algérien en 1995. C’est un type seul qui agit seul et ça marque une date dans l’histoire du terrorisme en France », estime Yves Trotignon, ancien analyste à la Direction générale de la sécurité extérieure.

Merah surprend parce que personne ne l’a vu venir mais aussi par sa méthode : il ne pose pas des bonbonnes de gaz trafiquées dans les transports mais tue lui-même, pistolet au poing. Il choisit ses victimes, justifie ses attaques contre des militaires par l’engagement de la France en Afghanistan et, dans une lettre retrouvée après sa mort, appelle ses « frères » musulmans à prendre les armes à leur tour.

Le jeune homme, au profil de petit délinquant, est passé sous les radars. Entendu en septembre 2012, le patron du renseignement intérieur de l’époque, Bernard Squarcini, brandit la thèse du « loup solitaire, difficilement détectable » et explique que rien ne permettait de relier Merah, fiché pour ses accointances avec la mouvance salafiste toulousaine, à un projet terroriste.

Mi-délinquant, mi-jihadiste

Une explication un peu courte pour Yves Trotignon, qui rappelle que Merah « avait été repéré, signalé par les services américains ». « Les radars ont fonctionné, mais il est parvenu à donner le change, soit à cause de l’impréparation des policiers qui l’ont interrogé, soit à cause d’une espèce de déni ».

Interrogé, Merah n’avait pas caché ses voyages en Syrie, Egypte ou Pakistan, mais parlé de tourisme. En réalité, il avait réussi en 2011 à entrer en contact, dans les zones tribales pakistanaises, avec un groupe affilié à Al-Qaïda qui revendiquera ses crimes. Cette affaire conduira à une réforme du renseignement, avec un renforcement des outils de détection mais aussi de la coopération avec l’administration pénitentiaire, car Merah s’est sans doute radicalisé en prison.

Face à ce nouveau profil, mi-délinquant mi-jihadiste, et face aux retours de jeunes partis en Syrie, le législateur crée fin 2014 un délit d’entreprise terroriste individuelle, qui ne donnera lieu qu’à une dizaine de procédures. « C’est finalement peu utilisé parce qu’il n’y a quasiment pas de loups solitaires », estime l’avocat Bruno Vinay, pour qui « un des seuls cas où cela peut correspondre est l’affaire de Magnanville », où un couple de policiers a été égorgé par un jihadiste inspiré par le propagandiste du groupe Etat islamique Rachid Kassim.

Nouvelle façon d’appréhender le terrorisme

Ce qu’il y a de certain, pour des magistrats et avocats, c’est que les crimes de Merah annoncent une nouvelle période dans le traitement du terrorisme, car le jihadiste, qui filme ses crimes et résiste jusqu’à la mort, devient une « référence » sinon « un modèle à suivre ». Six mois après ses assassinats, il a inspiré certains membres de la filière jihadiste dite de Cannes-Torcy, qui jettent une grenade dans une épicerie casher en septembre 2012 et fomentent des attentats contre des militaires.

Sud Ouest
CRÉDIT PHOTO : ERIC CABANIS AFP OR LICENSORS

« Dans tous les interrogatoires, il y a maintenant une question sur le rapport à Merah, pour tenter de déterminer le degré de radicalisation », relate Me Vinay. Et, relève-t-il, c’est encore l’affaire Merah, avec l’arrêt de la Cour de cassation d’octobre 2016 qui décide du renvoi aux assises d’un frère et d’un complice présumé du tueur, qui « a donné la clé de répartition entre criminel et délictuel » pour les dossiers ultérieurs. « Merah a changé le droit », résume un autre pénaliste : « avoir aidé un terroriste, même sans en avoir conscience, peut maintenant renvoyer aux assises. » Plus largement, l’accusation considère comme criminel tout départ vers la Syrie après janvier 2015.