Professeur de Lettres

Jo le Phéno : le surnom aurait mieux convenu au défunt Johnny Hallyday qu’à Jois Ndjibu. Lequel n’a ni le talent de « l’idole des jeunes », ni son audace : quand Johnny avait été l’un des pionniers du rock en France, Jo suit sans originalité la mode du rap, qui sévit chez nous depuis une bonne vingtaine d’années.

Son audace à lui se limite à un clip intitulé « Bavure ». Un clip violemment « anti-flics », qu’il avait retiré de la Toile après une première condamnation en 2016 et qu’il a remis sur Facebook en février 2017. Il vient, pour cette récidive, d’écoper de deux amendes de 1.000 euros chacune, jugement qu’il qualifie « d’accablant ».

Le jeune rappeur, aujourd’hui âgé de vingt-trois ans, expliquait alors avoir été ému par « une accumulation de violences policières ». Évoquant des « contrôles de police musclés » auxquels, selon Les Inrockuptibles du 7 avril dernier, il aurait assisté. Sans se demander si ces policiers avaient eu d’autre choix que de montrer les muscles. Citant Lamine Dieng, un « grand » de son quartier mort en 2007 dans un fourgon de police, et, bien sûr, Adama Traoré. De clip dénonçant les innombrables violences commises à l’encontre de policiers ou le double meurtre de Magnanville, point. Le jeune homme a manifestement l’indignation sélective. Comme tant d’autres.

La défense présentée en 2016 par son avocat, Me Saïd Harir, est éloquente : « Jo n’est pas un méchant. C’est juste un jeune qui essaie de percer. » Et aujourd’hui, pour percer, il faut chanter la haine du flic. La chose, certes, n’est pas nouvelle. Brassens, en son temps, criait déjà « Mort aux vaches ! » dans sa fameuse « Hécatombe ».

Mais il y avait chez le Sétois, tel celui de « L’Épave » , qui donne sa pèlerine au loqueteux transi, des flics sympathiques. Fussent-ils « bien singuliers ». Il y avait aussi, dans l’évocation des « mégères gendarmicides » occupées à « rosser les cognes », une vraie poésie : « La plus grasse de ces femelles,/Ouvrant son corsag’ dilaté,/Matraque à grands coups de mamelles/Ceux qui passent à sa porté’. » Une verve gaillarde, à mille lieues du « J’pisse sur la justice et sur la mère du commissaire » du rappeur, écœurant de vulgarité.

Il y avait, surtout, beaucoup d’humour. La violence des mots pouvait être extrême (« Moi, j’bichais car je les adore/Sous la forme de maccahbé’s »), elle était rachetée par l’invraisemblance comique de la scène. Le tribunal qui a condamné Jo vendredi dernier pointe justement l’absence de « distanciation fictionnelle »du clip. Le jeune rappeur nie que chanter « les condés, c’est des petits cons qui méritent de se faire plomber »« sans hésiter faut les fumer » soit une incitation à la violence, une « provocation non suivie d’effet au crime et [une] injure ». Le pire est qu’il est peut-être sincère. Peut-être s’imagine-t-il aussi qu’on peut tout dire et qu’au fond, rien n’a d’importance. À moins que les drogues qui lui ont valu une mise en garde à vue n’aient altéré ses fonctions cérébrales au point qu’il ne comprenne même plus la signification des trois misérables mots dont il dispose pour s’exprimer.

« Hécatombe » était une espièglerie rabelaisienne de mauvais garçon. La bêtise hargneuse de « Bavure » est le témoin et l’aliment de la haine que voue la racaille à ceux qui tentent de l’empêcher de nuire. Et Jo le reflet d’une jeunesse illettrée qui a perdu, avec le sens des mots, celui des réalités.

Un phénomène, Jo le Pheno ? Plutôt, hélas, le pur produit de son époque, de notre époque.