Est-ce le contrecoup des attentats ? Le durcissement de la situation dans les banlieues ? Ou simplement le fait que notre économie ait commencé à se redresser ? En tout cas, depuis quelques mois, l’insécurité a pris la place du chômage au premier rang des préoccupations des Français. Les chiffres, d’ailleurs, parlent d’eux-mêmes : 63% de nos concitoyens assurent avoir été victimes d’incivilités (BVA, février 2018), 51% des femmes disent se sentir menacées dans les transports en commun (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, janvier 2018), et une personne de plus de 60 ans sur cinq hésite désormais à sortir de chez elle de peur d’être agressée (étude Insee, janvier 2018). C’est dire si Gérard Collomb a joué sur du velours en annonçant la création d’une nouvelle police de proximité : 90% des personnes interrogées s’y déclarent favorables !

Il est vrai qu’à première vue cette initiative – qui est lancée ce 18 septembre dans 30 quartiers de « reconquête républicaine » et dans 30 autres en janvier prochain – paraît difficilement contestable. Partant du principe que les foyers de délinquance sont concentrés dans quelques zones bien connues et que l’insuffisance des forces de l’ordre est pour beaucoup dans la dérive de ces dernières, le ministre de l’Intérieur a décidé d’y implanter de nouvelles brigades au plus près du terrain. C’était déjà l’objectif de la police de proximité mise en place dans les années 1990 par Lionel Jospin. Mais cette dernière avait donné des résultats mitigés et avait fini par être supprimée par Nicolas Sarkozy. Aussi Gérard Collomb a-t-il souhaité corriger le tir. Rebaptisée PSQ (police de sécurité du quotidien), sa nouvelle structure sera, assure-t-il, ciselée sur mesure pour répondre aux besoins.

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Une formule testée par Gérard Collomb à Lyon

Bien sûr, comme la précédente, elle sera constituée d’agents présents sur la voie publique, qui patrouilleront dans les cages d’escalier, repéreront les planques et noueront des contacts avec la population. Mais pas seulement. En fonction des situations, les nouvelles unités pourront aussi comprendre des enquêteurs spécialisés dans le trafic de stupéfiants, ou tout autre personnel policier nécessaire. « Nous avons demandé aux directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) de définir leurs priorités, afin de pouvoir nous y adapter », indique à Capital le « premier flic de France ». En outre, la PSQ n’intégrera que des personnels volontaires, une condition nécessaire à son efficacité, et elle travaillera en collaboration avec les polices municipales, ce qui devrait permettre d’éviter les conflits et les doublons.

Le ministre de l’Intérieur assure pouvoir témoigner personnellement du bienfait de cette formule : avant d’être appelé au gouvernement, il l’a lui-même testée avec des policiers municipaux à Lyon, la ville dont il était le maire. Et il jure que dans le quartier concerné (le IXè arrondissement) la délinquance a diminué. L’opération va donc être étendue à l’arrondissement voisin. Pour préparer le terrain à l’arrivée prochaine de la PSQ et apprendre aux uns et aux autres à travailler ensemble, des unités mixtes de képis municipaux et nationaux quadrillent le secteur depuis six mois. Et Lucien Pourailly, le directeur de la sécurité publique du Rhône, a déjà sa petite idée sur la répartition des forces. « La majorité des effectifs patrouillera sept jours sur sept, en particulier en début de soirée, indique-t-il. Lorsqu’ils soulèveront une affaire, ils transmettront les informations à un groupe d’enquêteurs dédié. » Du cousu main ?

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Des renforts insuffisants

Pas vraiment, car, à y regarder de près, le pari de la PSQ est loin d’être gagné. N’en déplaise à Gérard Collomb, son application risque en effet de se heurter à un triple obstacle. D’abord, celui des effectifs. En dépit des économies réalisées grâce en particulier à la modernisation des équipements, le ministère de l’Intérieur ne dispose que de moyens très limités. Du coup, il a prévu d’affecter en tout et pour tout 1.300 personnes à ses nouvelles brigades, autrement dit une goutte d’eau au regard des 250.000 policiers et gendarmes déjà en poste. « Or l’expérience montre que, pour qu’une police de proximité fonctionne, il faut y mettre beaucoup de monde », prévient Stéphane Léonard, du syndicat SGP Police FO de Loire-Atlantique.

Certes, ces renforts seront par définition concentrés dans un petit nombre de lieux. Mais les chiffres annoncés par le ministère font tout de même bien maigrelet. Bordeaux bénéficiera d’une quinzaine de policiers supplémentaires, Montpellier, de 21, Toulouse et Lille, de 30, le maximum prévu dans le plan… Dans les métropoles déjà bien dotées en uniformes et où l’insécurité reste contenue, ces apports lilliputiens pourront peut-être suffire. Ce sera sans doute le cas à Nice, où la ville, déjà surdotée en policiers municipaux avec 700 agents – soit 2 pour 1.000 habitants, contre 0,6 pour 1.000 à Lyon, par exemple –, devrait avoir les moyens d’épauler les nouvelles équipes. En revanche, si le niveau de délinquance est élevé et la police municipale insuffisante, les renforts risquent de paraître bien légers.

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A Lille, entre autres, où, de l’avis même de Gérard Collomb, « certains quartiers sont gangrenés par le trafic de stupéfiants », que pourront faire les 30 malheureux nouveaux képis de la PSQ ? Pas grand-chose en vérité. D’autant que, dans les deux zones prioritaires de reconquête républicaine lilloises, Fives et Moulins, qui abritent près de 40.000 habitants, des CRS ont dû être missionnés il y a quelques mois tant l’ambiance était tendue. « Il est hors de question d’envoyer les nouveaux policiers de sécurité du quotidien seuls au casse-pipe dans ces zones », déclare Christian Wulveryck, le commissaire central de Lille agglomération. Wow ! Si elles doivent se faire escorter par des CRS, les recrues du ministère de l’Intérieur vont avoir du mal à tisser des liens avec la population !

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La PSQ boudée par certaines municipalités

Le deuxième obstacle auquel pourrait bien se heurter la PSQ, ce sont les élus locaux. Pour être efficaces, les nouvelles équipes vont en effet avoir besoin de leur soutien actif – ne serait-ce que pour qu’elles puissent travailler en bonne entente avec les polices municipales. Dans certaines agglomérations, comme Lyon ou Le Havre (la ville d’Edouard Philippe), cela ne posera sans doute pas de problème. A Toulouse, par contre, les choses risquent de se passer moins bien. Jean-Luc Moudenc, le maire LR de la Ville rose, n’a en effet aucune intention de laisser patrouiller sur le terrain les 30 policiers supplémentaires dépêchés au quartier du Mirail.

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Non seulement il s’estime lésé par l’Etat, qui n’accorde à sa ville que 2,4 képis nationaux pour 1.000 habitants, contre 3,9 à Lyon, mais, comme le précise son adjoint à la sécurité, Olivier Arsac, il ne veut pas d’ »une police qui fasse copain-copain avec les délinquants et organise des matchs de foot ». Du coup, le Capitole compte exiger de la préfecture qu’elle affecte la totalité des effectifs de la PSQ à des cellules d’investigation, dans les bureaux du commissariat. Autant dire que les habitants du quartier du Mirail – perpétuellement sous tension et qui avait été le théâtre de violentes échauffourées au mois d’avril dernier – ne verront pas la couleur de la police de proximité en bas de leurs HLM.

Des quartiers chauds non sélectionnés

La cité du Breil, à Nantes, qui a connu elle aussi des scènes d’émeutes les 3 et 4 juillet derniers suite à la mort d’un jeune contrôlé par la police, en sera également privée. Mais pour une tout autre raison : elle n’a pas été sélectionnée par le ministère parmi les 60 quartiers de reconquête républicaine. La voilà, la troisième limite de la solution miracle de Gérard Collomb : elle ne s’appliquera pas forcément aux bons endroits. D’abord parce que les violences urbaines peuvent en effet exploser à tout moment dans des centaines d’endroits différents, et qu’il est bien difficile de prévoir où. Ensuite parce que, de l’avis même des policiers, l’arrivée de renforts dans une cité va probablement pousser les délinquants à déménager leurs trafics vers des zones voisines, en sorte qu’on n’aura réussi qu’à déplacer le problème.

Et puis, comme il fallait bien faire des choix, certaines grandes villes ont été carrément exclues du dispositif. A Rennes, par exemple, la mairie socialiste est fort marrie qu’aucun de ses quartiers chauds n’ait été retenu pour l’expérience. Du coup, en collaboration avec la préfecture, elle a décidé d’y faire sa popote toute seule. « Comme nous n’avons eu droit à aucun poste supplémentaire, nous redéployons les moyens comme nous le pouvons. Nous avons fidélisé une patrouille de trois policiers sur le quartier de Maurepas, mais en semaine seulement, car le week-end nous n’avons pas suffisamment de personnel », précise le directeur départemental de la sécurité publique, Patrick Chaudet. Mauvaise nouvelle pour les délinquants : ils vont devoir travailler le dimanche.

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Les tablettes numériques feront gagner un temps précieux aux agents

La création de la police de sécurité du quotidien n’a pas été budgétée en tant que telle par le ministère de l’Intérieur. Elle est partie intégrante d’une grande réorganisation de la police nationale. L’objectif est de mettre davantage de policiers sur le terrain, tout en réalisant des économies. Par quelle formule magique ? « En ne remplaçant pas les départs à la retraite des hauts gradés et en libérant les policiers des tâches indues dans les commissariats : des postes administratifs y seront dévolus à la place des policiers », annonce Gérard Collomb.

Pour améliorer leur efficacité sur le terrain, le ministère de l’Intérieur va investir par ailleurs 250 millions d’euros par an pour le renouvellement du matériel (véhicule, armement, protection) d’ici 2019. Entre autres innovations, 100.000 tablettes numériques Neo seront fournies aux policiers et gendarmes d’ici l’an prochain. Elles leur feront gagner dix minutes lors de chaque contrôle. La Place Beauvau va aussi centraliser les services achats pour l’ensemble du ministère. Un investissement de 300 millions d’euros par an d’ici 2020 est tout de même prévu pour « améliorer l’état très dégradé des commissariats et casernes », reconnaît l’ancien maire de Lyon. En revanche, pour le paiement des 21,8 millions d’heures supplémentaires engrangées par les policiers (selon le rapport du Sénat du 3 juillet dernier), il va encore falloir patienter. Ce n’est pas la priorité du ministre, ni pour cette année ni pour la suivante.