Professeur agrégé et écrivain

L’INSEE va, à partir de mai, intégrer le trafic de drogue dans le calcul du PIB. Eurostat (l’organisme européen de statistiques) exigeait cette réforme depuis 2013. En effet, dans certains pays comme les Pays-Bas, la vente du cannabis est légale et est prise en compte pour le PNB. Eurostat impose d’uniformiser les modes de calcul afin de pouvoir comparer entre elles les économies européennes. On aurait dû, également, intégrer la prostitution (souvent légale dans l’Union européenne), mais l’INSEE a refusé. (Pourquoi l’institut accepte-t-il l’un et pas l’autre ? Mystère !)

Néanmoins, la révision envisagée sera limitée, quelques milliards d’euros à rajouter aux 2.300 milliards. Notre croissance pour 2018 n’augmentera qu’à la marge et cette réforme ne fera pas baisser notre pourcentage catastrophique d’endettement par rapport au PIB (98 %). Pourtant, une étude de 2013 évaluait à 10 % du PIB (220 milliards !) le poids de la drogue en France. Il est très difficile de mesurer ce qui est illicite. Dans une activité légale, des contrôleurs vont vérifier dans tout le pays les prix et les quantités offertes et on a ainsi une idée du secteur de l’économie que l’on étudie. Impossible de procéder ainsi pour la drogue. On fera au jugé. On choisira un chiffre dans le bas de la fourchette, mais le résultat risque de n’avoir aucun sens.

De toute façon, prendre en compte ou pas la drogue et la prostitution n’a guère d’intérêt au point de vue économique. Que la dette soit à 98 % ou à 130 % (comme en Italie) du PIB ou qu’elle redescende à 90 % n’est qu’un jeu d’écriture. Ce qui importe, c’est la capacité à rembourser ou, plutôt, la perception qu’ont les marchés que l’État endetté puisse rembourser, ce qui n’est pas la même chose. Les prêteurs regardent si le gouvernement dispose de solutions de « secours » pour remplir ses obligations (comme confisquer une partie des fonds déposés dans les banques ou, comme l’a suggéré France Stratégie, nationaliser une partie des terrains où sont bâtis les logements). Pour payer les prêts, on ne pourra évidemment pas saisir les biens des trafiquants de drogue, sinon on l’aurait fait depuis longtemps. Tout au plus, un gouvernement aux abois sur le plan financier pourrait rendre légal la vente du cannabis, voire de drogues plus dures, en y appliquant la TVA à 20 %, ce qui terrasserait le déficit, mais quel pouvoir prendrait cette décision ?

Car, outre les aspects sanitaires (comment, d’un point de vue éthique, un gouvernement pourrait-il se résoudre à empoisonner ses compatriotes ?), le trafic illégal de la drogue est en réalité indispensable en France pour maintenir la paix sociale. De centaines de milliers de personnes vivent des retombées de ce commerce illicite (nourrice, guetteurs, dealers…). Autoriser la vente de drogue dans des boutiques spécialisées (comme au Pays-Bas) provoquerait une explosion sociale dans les banlieues en privant ses habitants de revenus. Cette légalisation ne pourrait éventuellement se faire que par paliers, et encore !