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SNPM Syndicat National des policiers Municipaux

Décryptage du projet de loi instaurant un état d’urgence permanent

A la suite de la publication ce 8 juin par le journal « Le Monde » d’un document, émanant du ministère de l’Intérieur, intitulé « Projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », il nous a paru indispensable d’opérer sans attendre un premier décryptage des mesures qui y sont contenues.

En effet, en inscrivant dans le droit commun de nombreuses mesures de l’état d’urgence, en accroissant les pouvoirs de police et les mesures privatives et restrictives de libertés sur la base des éléments de surveillance des services de renseignement, en excluant le juge judiciaire, statutairement indépendant et garant des libertés individuelles aux termes de la Constitution, du contrôle de ces mesures, ce texte fait peser sur nos équilibres démocratiques un danger majeur.

Ce projet produit un effet cliquet par le basculement qu’il induit, après l’érosion continue des droits et libertés que l’actuel Président de la République avait – un temps – lui-même dénoncé, en appelant à ne pas « céder à quelque surenchère pour répondre à l’événement tragique qui endeuille notre pays » et en prononçant ces mots « remettre en cause la légitimité de l’autorité judiciaire, c’est affaiblir l’autorité de l’Etat et l’autorité dans l’Etat, et ça n’est pas compatible avec une vraie politique de sécurité dont notre pays a aujourd’hui besoin ». La modernité que le chef de l’Exécutif prétend incarner se résume donc aux vieilles recettes, à ceci près que notre Etat de droit en porterait les stigmates bien après les échéances électorales immédiates.

Le présent document, non exhaustif, a principalement vocation à identifier les menaces contenues dans ce texte, afin que chacun puisse percevoir les enjeux des débats à venir. La logique générale, consistant à accorder à l’Exécutif des pouvoirs exorbitants de contrôle, surveillance, intrusion et privation de liberté, en tenant à distance l’autorité judiciaire et sur des bases floues, appelle une condamnation très forte. Dès le mois de novembre 2015, le Syndicat de la magistrature s’était élevé contre les atteintes majeures à l’Etat de droit que produisait – et produit encore – l’état d’urgence. En 2016, il a dénoncé les premières mesures de contamination de cette logique dans le droit commun (assignations à résidence au retour d’un théâtre d’opération terroriste, retenue administrative pour procéder à des contrôles) ainsi que les aggravations introduites dans l’état d’urgence par chacune des lois de prorogation successives.

Cette critique implique d’identifier, dans les détails du texte, les éléments saillants propres à mobiliser contre le risque d’arbitraire tiré de l’application de ce texte, par le gouvernement actuel comme par les gouvernements à venir.

Article 1 Sur les arrêtés instituant des « périmètres de protection »

Le nouvel article L 226-1 du code de la sécurité intérieure institue des zones, définies de manière très large par référence à « un lieu » ou « un événement » dans lesquelles la liberté de circulation sera limitée sur décision du préfet.

Sur le fondement d’une « exposition particulière à un risque d’actes de terrorisme », le texte indique que « l’accès et la circulation des personnes sont réglementés ». L’arrêté définira le périmètre incluant « les lieux soumis à la menace, les lieux avoisinants et leur accès », ajoutant une condition de proportionnalité « aux nécessités que font apparaître les circonstances ».

Compte tenu de la prégnance de la menace terroriste et de son caractère diffus, ces précisions textuelles ne seront pas de nature à limiter les espaces susceptibles d’être définis comme des « périmètres de protection ». Il s’agira bien d’espaces publics, la notion de périmètre ne renvoyant pas à des espaces délimités par des barrières mais à la description de lieux.

En outre, le texte ne fixe aucune limitation de durée, se référant uniquement aux dispositions « aux nécessités que font apparaître les circonstances », alors même que les textes du droit commun (article 78-2-2 du CPP) et de l’état d’urgence fixent une limite de 24 heures. Ces limites, déjà bien trop larges, sont en pratiques fréquemment contournées par la production de réquisitions successives de contrôle.

Or, l’arrêté instituant le périmètre de protection emportera des conséquences lourdes, puisqu’il autorisera certaines forces de police à mettre en œuvre des mesures de fouilles et de contrôle très larges et potentiellement à interdire à des personnes d’accéder au lieu.

Des pouvoirs supplémentaires seront ainsi confiés aux policiers et aux gendarmes dont la réserve opérationnelle et les adjoints de sécurité mais également aux agents de police municipale, sur seul accord du maire. Pour les palpations de sécurité, inspection visuelle et fouilles de bagages, ces agents pourraient même être « assistés » d’agents privés de gardiennage, alors même que cette disposition vise des lieux publics.

Seront possibles, dans ce périmètre, des mesures de palpation de sécurité, inspection visuelle et fouilles des bagages mais aussi des fouilles de véhicules. Ces fouilles seraient effectuées par les OPJ ou APJ et APJA, avec le consentement du propriétaire, qui pourra toutefois se voir privé d’accès s’il refuse.

De manière générale, toute personne refusant ces mesures à l’entrée ou à l’intérieur du périmètre sera privée de sa liberté d’y circuler (interdiction d’y entrer ou « reconduite d’office à l’extérieur »).

Le procureur de la République se voit transmettre l’arrêté : il s’agit d’une simple information, sur laquelle l’autorité judiciaire n’a, de fait, aucune prise et n’exerce donc aucun contrôle.

Dans le droit commun actuel, les possibilités de fouilles, inspections visuelles de bagage par des agents de gardiennage sont d’ores et déjà possibles, mais « à l’intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde » (article L 613-1 du CSI). En application de l’article L 613-2 du code de la sécurité intérieure sur la base d’une habilitation et d’un agrément spécial et en cas de « circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique » constatées par un arrêté préfectoral, des palpations peuvent être opérées avec le consentement exprès des personnes.

Pour les services de police et gendarmerie, les dispositions sont prévues par le code de procédure pénale, qui ouvre déjà très – trop – largement les possibilités de fouilles, inspections visuelles de bagage et fouilles de véhicules. Il s’agit de :

– l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, qui prévoit des mesures sur la base de réquisitions du Procureur de la République « aux fins de recherche et de poursuite » d’une série d’infractions dont fait notamment partie l’ensemble des infractions de nature terroriste (des articles 421-1 du code pénal à 421-6 du code pénal).

– l’article 78-2-4 du code de procédure pénale, qui autorise les OPJ, APJ et APJA à procéder, soit avec l’accord de la personne, soit à défaut sur instruction du procureur de la République, à des visites de véhicules, inspection visuelle et fouilles de bagage. Le motif de recours à ces mesures est la prévention d’une « atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». Jusqu’à la loi du 23 mars 2016, ces dispositions visaient les seules visites de véhicules, mais le dispositif a fait l’objet d’une extension continue par les lois de 23 mars 2016 et 3 juin 2016.

Dans l’état d’urgence, l’article 8-1 de la loi relative à l’état d’urgence, dans sa version issue de la loi du 21 juillet 2016, a instauré la possibilité pour le préfet de délivrer des « réquisitions » de contrôles d’identité, inspections visuelles, fouilles de bagage et inspections de véhicules dans des lieux définis et pour une durée de 24 heures. Ces pouvoirs ont été utilisés massivement depuis leur introduction dans le texte de l’état d’urgence, sans qu’aucun élément ne permette de conclure à leur efficacité en matière de lutte contre le terrorisme.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose avec vigueur à l’extension continue des facultés de fouilles de bagages et de véhicules. Les critères très larges – sans lien avec la recherche d’une infraction pénale sur la base d’éléments objectifs tirés de l’action de la personne – font le nid de pratiques discriminatoires. Ces pratiques de contrôle au faciès ont été objectivées par des études et sont régulièrement dénoncées par des autorités telles que le Défenseur des droits. Elles sont inefficaces pour la prévention des actes de terrorisme qui relèvent de l’action coordonnée des services de renseignement et des services d’enquête judiciaire, non pas de mesures aléatoires de fouilles.

Le texte entérine un glissement en ce qu’il transfère à l’autorité administrative, en droit commun, la faculté de réglementer la circulation des personnes dans l’espace public, le procureur de la République étant alors seulement avisé. Le critère de l’exposition particulière à un risque d’acte de terrorisme permet, dans les faits, de définir ces périmètres en tous lieux dans lesquels circulent des personnes.

Article 2 Sur la fermeture des lieux de culte.

Le texte crée un article L 227-1 du code de la sécurité intérieure qui autorise le préfet à « prononcer la fermeture des lieux de culte » sur des bases extrêmement larges.

En effet, les motifs de cette décision sont liés non seulement à l’apologie ou à la provocation à la commission d’actes de terrorisme mais aussi « à la discrimination, à la haine, à la violence ». Ces provocations peuvent être déduites des :
– propos tenus au sein de ces lieux

– idées ou théories qui y sont diffusées – activités qui s’y déroulent.

Le texte permettrait ainsi des mesures de fermeture, qui contreviennent au principe de liberté de culte et d’organisation, dans des conditions disproportionnées et puisqu’elles pourraient être tirées de « propos tenus » ou d’ « activités » sans autre précision, notamment quant à leur auteur,. Leur objet, est, lui-même extrêmement large puisque ne se bornant absolument pas à la seule apologie ou provocation au terrorisme.

Dans le cadre de l’état d’urgence, c’est la loi du 21 juillet 2016 qui a permis la fermeture de lieux de culte (mais aussi des lieux de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature – heureusement non visés par le présent texte) sur la base des propos provoquant à la haine, la violence, à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Le texte de l’état d’urgence ne vise donc pas les idées ou théories, ni les activités et ne vise pas la provocation à la discrimination. Les lieux de culte visés sont donc beaucoup plus larges compte tenu des critères pouvant être invoqués.

Le régime instauré par le présent projet est différent sur deux points.

– une procédure contradictoire préalable est prévue avant la décision du préfet. Toutefois, il convient de s’interroger sur les documents qui seront fournis à l’occasion de cette procédure préalable et sur la possible exclusion de nombreux éléments d’information, au prétexte qu’ils seraient couverts par le secret ou susceptibles de révéler les méthodes des services de renseignement

– le principe du caractère suspensif du recours en référé-liberté fondamentale lorsqu’il est formé dans un délai de 48 heures.

La violation de cette décision administrative de fermeture constitue une infraction à la loi pénale (comme c’est le cas dans l’état d’urgence), les personnes visées pouvant être sanctionnées de six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende, et relever de la comparution immédiate et de l’incarcération, pour le non respect d’une mesure administrative fondée sur des critères flous.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose à l’extension continue des pouvoirs de police administrative et l’instrumentalisation judiciaire qui en découle par la création d’une infraction pénalo-administrative.

Article 3 Sur la surveillance et les autres obligations individuelles

Cet article introduit définitivement le mécanisme de l’assignation administrative à résidence dans le droit commun. Il étend le dispositif introduit à l’article L 225-1 du code de la sécurité intérieure par la loi du 3 juin 2016 et aggravé par la loi du 21 juillet 2016, qui prévoyait une assignation à résidence pour une durée d’un mois, renouvelable deux fois, des personnes revenant d’un théâtre d’opération de groupements terroristes (non mis en examen et non suspectés d’une infraction pénale).

Déjà à l’occasion de l’examen de ce texte, le Syndicat de la magistrature dénonçait le déplacement grave opéré par la création de ces mesures administratives répressives, consistant à soumettre à des mesures privatives ou restrictives de libertés des personnes auxquelles aucune infraction pénale n’est reprochée. Il rappelait que ces mesures individuelles, inspirées d’un dangereux principe de précaution, bafouent les droits et libertés des personnes, aucun des prétendus garde-fou (critère, durée, possibilité d’un contrôle juridictionnel a posteriori) n’assurant les garanties minimales indispensables dans une démocratie.

Le texte prévoit la possibilité d’une assignation par le ministre de l’Intérieur :

– dans un périmètre déterminé (au minimum la commune)
– avec pointage périodique (au plus une fois par jour, potentiellement tous les jours de la semaine)
– pour une période de 3 mois renouvelable (sans que le texte ne limite à un seul renouvellement, de sorte qu’on peut penser que plusieurs renouvellements pourraient intervenir).

Le critère de l’assignation administrative à résidence est très concrètement élargi dans la mesure où il énonce un objectif général (la prévention des actes de terrorisme et plus seulement pour le retour de théâtre d’opérations) puis vise des situations toujours plus éloignées de la commission d’une infraction terroriste.

En effet, la personne visée peut relever de trois catégories :
– la personne dont « il existe des raisons sérieuses de penser » (et non des indices, critère plus précis figurant dans le code de procédure pénale) que « son comportement » (et non ses actes) constitue « une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics », cette dernière notion étant très large.
Il s’agit peu ou prou de la définition retenue par l’article 6 de la loi relative à l’état d’urgence, laquelle a été étendue de manière extensive puisque des motifs dits « opérationnels » de prévention du terrorisme, ont permis de soumettre à cette mesure des personnes sans lien aucun avec des filières terroristes (militants politiques par exemple, un tel dévoiement ayant été validé par le Conseil d’Etat à l’occasion de la COP 21).

– la personne « qui entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme » : cette disposition vise de manière disproportionnée l’entourage de personnes ou même d’organisations (alors même que le droit pénal français ne connaît pas de liste d’organisations terroristes) sur la base d’activités qui ne relèvent pas uniquement de la participation à des actes de terrorisme mais aussi de l’incitation ou de la facilitation, deux notions très vagues. Il convient de relever que le texte ne définit nullement sur quelle base le ministre de l’Intérieur estimera cette participation/incitation/facilitation établie. Cette notion de relation habituelle est en outre ici exclusive, dans le texte, d’une manifestation quelconque d’adhésion, encore moins d’une action à caractère terroriste, de sorte qu’il est loisible de penser que le Conseil constitutionnel serait amené à la censurer, en application de sa jurisprudence du 10 février 2017 sur QPC (DC2016-611 QPC)

– la personne « qui soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger ou faisant l’apologie de tels actes » : le lien avec des actes de terrorisme est ici extrêmement distendu puisqu’il est largement question de convictions (soutien ou adhésion) portant sur des « thèses » elles- mêmes relevant de l’incitation ou de l’apologie du terrorisme. La méthode utilisée pour établir ces « soutiens » ou « adhésions » amplifiera encore le risque de mesures liberticides.

La possibilité, pour le ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire pour l’Executif, d’ordonner des mesures entraînant des privations concrètes et bien réelles de liberté sur de telles bases, est d’autant plus disproportionnée que le « droit pénal antiterroriste comprend déjà une série d’infractions de soutien au terrorisme très largement définies.

A l’occasion de sa décision du 10 février 2017, sur question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a ainsi utilement rappelé l’existence des infractions pénales d’association de malfaiteurs à visée terroriste (sanctionnant des actes préparatoires), d’incitation au terrorisme (par offres, promesses, menaces ou pressions, prévue par l’article L 421-2-1 du code pénal), de provocation ou d’apologie du terrorisme (article L 421-2-5 du code pénal) et d’entreprise individuelle terroriste (article L 421-2-6 du code pénal, lui même partiellement censuré pour l’imprécision de l’un de ses éléments constitutifs). Le droit pénal antiterroriste comporte d’ailleurs d’autres infractions relevant soit du financement du terrorisme, soit même de la simple non justification de ressources.

Si on examine précisément les critères permettant de recourir à ces assignations administratives à résidence, les trois types de motifs n’étant pas cumulatifs, le régime est en réalité plus large que celui issu de l’état d’urgence.

Il étend par ailleurs une mesure contenue dans le texte issu de la première loi de prorogation de l’état d’urgence de novembre 2015, à savoir la possibilité de soumettre les personnes assignées à une mesure de placement sous surveillance électronique mobile. A notre connaissance jamais mise en oeuvre – à raison de son caractère anticonstitutionnel évident – cette mesure de privation majeure de liberté paraissait insusceptible d’être appliquée dans la mesure où elle exige l’accord de la personne. Cette condition, classique et naturelle en matière de surveillance électronique, paraissait initialement faire obstacle à son utilisation, mais on peut imaginer que certaines personnes cèderont, afin d’être assignées dans un périmètre plus large (puisque le périmètre minimal est alors fixé au niveau du département, et non plus de commune et que l’intéressé n’est alors soumis à aucun pointage). La disproportion est pourtant manifeste : rappelons qu’en droit commun, les mesures de placement sous surveillance électronique mobile (avec localisation en permanence pour déterminer si l’intéressé pénètre des zones interdites) sont réservées à des personnes condamnées pour les infractions parmi les plus graves, dans le cadre de mesures de sûreté ou d’exécution d’une mesure d’aménagement de peine, donc sur décision du juge judiciaire.

D’autres mesures de surveillance et de contrôle sont prévues par le texte. Ainsi, le nouvel article L 228-4 du code la sécurité intérieure emporte deux types d’obligations distinctes.

La première consiste à déclarer ses identifiants de tout moyen de communication électronique, ainsi que tout changement d’identifiant. Une telle disposition a été rejetée par le Parlement lors de l’adoption de la loi du 3 juin 2016, car elle contredit le droit des personnes à ne pas s’incriminer, certes non explicite en droit français mais qui ressort clairement de la jurisprudence européenne.

La seconde consiste à imposer des interdictions de contact (relation directe ou indirecte) avec des personnes désignées « dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Encore une fois, l’exigence de rattachement au terrorisme s’efface pour laisser la place au critère bien plus vague de sécurité et d’ordre publics.

Enfin, dans les hypothèses où la personne ne serait ni assignée à résidence, ni placée sous surveillance électronique mobile, le ministre de l’Intérieur pourrait faire obligation de déclarer son domicile et tout changement de domicile et de signaler les déplacements à l’extérieur d’un périmètre (au minimum le périmètre d’une commune).

Ces obligations peuvent être prononcées pour une durée de six mois, renouvelable (sans limitation textuelle du nombre de renouvellements, ni limitation de fait comme c’est le cas sous état d’urgence à la date à la date des lois de prolongation), sur la base « d’éléments nouveaux », ou seulement « complémentaires ».

Aux termes de l’article L 228-5 du CSI, la décision doit être écrite et motivée, avec une phase contradictoire postérieure à sa notification, pendant une durée de huit jours et un délai d’un mois pour saisir le tribunal administratif en annulation, la juridiction devant statuer dans les deux mois (outre les procédures de référé possible). Il convient de noter que cette phrase contradictoire préalable n’implique pas un vrai débat.

Le Syndicat de la magistrature rappelle son opposition à ces mesures de facto privatives de libertés, prononcées sur des bases bien trop vagues, non rattachées à des indices graves ou concordants de la commission d’une infraction pénale (même préparatoire au terrorisme), sans débat contradictoire préalable devant un juge indépendant, sans être fondée sur une procédure contradictoirement discutée. Il relève au demeurant que le délai de recours ouvert est réduit par rapport à celui de deux mois, habituel en matière administrative.

Il conteste l’instrumentation de l’autorité judiciaire, qui est simplement « informée » de ces mesures (en la personne du procureur de la République de Paris) puis invitée à condamner – sévèrement – les personnes ayant manqué aux obligations administratives ainsi imposées. En effet, l’article L 228-6 du code de la sécurité intérieure prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour tout manquement à ces mesures administratives. L’objectif est clair : alors que rien ne permet de retenir une quelconque infraction pénale (même préparatoire), la mesure administrative crée les conditions de la commission d’un délit et ouvre la voie à une incarcération, sur la base de cette infraction pénalo- administrative.

Article 4 Sur les perquisitions

Le texte prévoit de transposer dans le droit commun le régime des perquisitions administratives de l’état d’urgence, aux fins de prévenir des actes de terrorisme, fondées sur les trois critères précédemment exposés et critiqués :
– la personne dont « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics »,

– la personne « qui entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme »,
– la personne « qui soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger ou faisant l’apologie de tels actes ».

Le motif de la perquisition est tiré de ce qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » qu’un lieu, y compris un domicile (à l’exclusion de certains locaux protégés à raison de certaines fonctions – parlementaires, avocats, magistrats, journalistes) est « fréquenté par » une de ces personnes.

De fait, les décisions de perquisitions pourront être prise – comme cela a été constaté durant l’état d’urgence – sur la base de vagues suspicions, de dénonciations infondées, dès lors que les critères inscrits dans la loi sont extensifs et imprécis.

Le fait d’introduire le procureur de la République de Paris (le préfet demande l’autorisation du procureur avant de pouvoir l’ordonner lui même) ne constitue aucunement une garantie. Au-delà de son statut imparfait, le problème réside assurément dans le critère permettant de recourir à ces mesures, qui porte les germes ces dérives.

Il n’y a pourtant aucune impuissance judiciaire en la matière. Rappelons qu’en procédure pénale, la perquisition est d’initiative policière (l’enquête étant placée sous le contrôle du procureur de la République et les perquisitions de nuit sous condition d’autorisation par le juge des libertés et de la détention) mais peut s’exercer dans un cadre large, assurant l’efficacité des enquêtes. En effet, le régime des perquisitions judiciaires (article 56 et suivant du code de procédure pénale) permet, sans aucune difficulté procédurale ou technique, de mettre en œuvre des actions de police aux domiciles de toutes personnes, soit qui « paraissent avoir participé au crime » ou seulement « détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés ».

Le dispositif prévu par ce nouvel article L 229-1 du code de la sécurité intérieure confie étonnamment au procureur de la République (et non à un juge du siège), le pouvoir d’autoriser une perquisition nocturne. Il reprend la disposition déjà introduite dans l’état d’urgence permettant d’ordonner des perquisitions « de rebond » par tout moyen, sur seule autorisation du procureur de la République, sans qu’aucune « régularisation » n’intervienne d’ailleurs, contrairement à ce qui est prévu dans le régime de l’état d’urgence.

La présence d’officiers de police judiciaire (pour pouvoir exploiter, le cas échéant, des éléments laissant suspecter la commission d’une infraction, même sans lien avec le terrorisme) ou l’autorisation par le procureur de la République ne rattachent en rien ces mesures à des mesures d’investigation légitimes dans un Etat de droit. Le procureur de la République ne pourra jouer un autre rôle que celui d’alibi : le texte ne prévoit pas quelles pièces seront versées au dossier qui lui sera soumis, étant précisé que l’appréciation de l’autorité administrative résultera des éléments fournis par les services du renseignement. Sur quels éléments pourra-t-il se fonder pour valider, et plus encore pour refuser d’autoriser des mesures dont l’autorité exécutive affirmera qu’elles sont nécessaires pour prévenir un acte terroriste ?

Le Syndicat de la magistrature est absolument opposé à l’introduction dans le droit commun de ce régime : l’atteinte au principe d’inviolabilité du domicile ne saurait relever d’une autorité administrative. Il convient à cet égard de rappeler qu’en matière de droit des étrangers, l’appréhension au domicile des personnes assignées à résidence en attente d’éloignement doit être autorisée par un magistrat du siège, le juge des libertés et de la détention. Il ne saurait être question d’ouvrir des possibilités de perquisitions, déconnectées de la recherche d’une infraction pénale et placée sous le contrôle fantôme d’une autorité judiciaire alibi de l’exécutif.

Le dispositif prévoit également la possibilité de perquisitions informatiques strictement calquées sur le régime des perquisitions administratives relevant de l’état d’urgence, impliquant donc l’intervention du juge administratif en référé préalable à l’exploitation des éléments saisis. Bien qu’en apparence plus garantiste, compte tenu du caractère préalable et donc systématique du contrôle, cette disposition ne suffit pas à légitimer ces perquisitions informatiques. En effet, outre que le critère de recours reste le même, l’autorisation est donnée par le juge « au vu des éléments relevés par la perquisition », c’est-à-dire sous une condition si imprécise qu’elle est susceptible de donner lieu à des autorisations quasi incontrôlées. Ainsi, au mois d’octobre 2016, il apparaissait que 70 demandes d’exploitation sur 80 avaient été accordées (Rapport d’information sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sous la présidence de Dominique Raimbourg et Jean Frédéric Poisson), par exemple sur la base de contacts par communication électronique avec une personne se trouvant en zone de combat syro-irakienne (ni la présence dans cette zone, ni la communication avec cette personne ne constituant en soi une infraction à la loi pénale,).

La durée de conservation pour exploitation demeure disproportionnée : elle est de trois mois, et peut être prorogée pour la même durée.

Le texte prévoit enfin les conditions dans lesquelles les personnes peuvent être retenues le temps de la perquisition. Alors que le texte de loi relatif à l’état d’urgence ne permettait de retenir la personne que lorsqu’il existe des raisons de penser que son comportement constitue une menace, le critère introduit à l’article L229-3, « lorsqu’elle est susceptible de fournir des renseignements sur les objets, documents et données présents sur le lieu de la perquisition » est beaucoup plus large. Il s’agit du critère retenu par l’article 56 du code de procédure pénale, mais il convient de rappeler alors que la perquisition est en lien avec la recherche d’une infraction pénale, pas avec une suspicion de menace. Le seul fait que cette retenue soit conditionnée à l’autorisation du procureur de la République de Paris ne suffit pas à rendre cette disposition légitime, pour les motifs déjà exposés précédemment, ni d’ailleurs les droits afférents d’information.

Articles 5 – 6 – 7 Sur le fichier PNR (Passenger name record)

L’article 6 modifie les règles existantes du code de la sécurité intérieure sur le fichage des transports aériens et maritimes en élargissant les finalités de ces fichiers. En effet, alors que le fichage des citoyens était motivé par « les besoins de la prévention et de la constatation des actes de terrorisme », des infractions permettant la délivrance d’un mandat d’arrêt européen et des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, le nouveau texte procède par référence à la directive UE 2016/681 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relative à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR).

En tout état de cause, cette modification n’altère pas la logique du PNR : opérer un fichage intégral de l’ensemble des données de réservation et d’enregistrement des passagers, étant précisé que l’article étend cette obligation aux « agences de voyage » et distingue les mesures de contrôle aérien et celles spécifiques aux transporteurs maritimes. La durée de conservation de cinq ans est maintenue, malgré son caractère excessif.

Il convient de rappeler que les transporteurs maritimes sont déjà soumis à de telles obligations, que ce soit de communication des données d’enregistrement ou de réservation. Le texte nouveau détaille cependant les transporteurs maritimes concernés.

Surtout, il a pour effet d’inscrire définitivement ces mesures dans le droit : en effet, ce fichage n’était, en vertu de la loi du 18 décembre 2013, applicable que jusqu’au 31 décembre 2017.

Le Syndicat de la magistrature rappelle son opposition à ces mesures de fichage indifférencié et massif de l’ensemble des citoyens. Tandis que ces mesures sont contournables par les réseaux terroristes et criminels, ce sont les informations sur les déplacements de l’ensemble des citoyens qui sont ainsi conservés par les Etats, sur des durées extrêmement longues. Ces mesures pré-constituent chaque citoyen en suspect potentiel, non seulement au regard des actes réprimés par la loi à la date de leur enregistrement mais aussi de ceux qui seraient susceptibles d’être réprimés à l’avenir, par des gouvernements plus autoritaires.

Si certaines données sont explicitement exclues de ce fichier, il n’en demeure pas moins que la liste des informations recueillies, dès le stade de la réservation puis au moment de l’enregistrement, fait de cet outil un fichier de population auquel il convient de s’opposer, comme l’a fait pendant plusieurs années la commission libertés civiles du parlement européen.

Articles 8-9 Sur la surveillance des communications hertziennes (techniques de renseignement)

Le texte vient une nouvelle fois élargir le champ des techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015. Les critiques élaborées alors demeurent évidemment d’actualité. Elles visaient :
– le caractère disproportionné des finalités permettant de recourir à ces techniques intrusives qui ne se limitent aucunement à la prévention des actes de terrorisme mais sont susceptibles de viser des personnes à raison de leur militantisme (en matière économique, de politique étrangère ou même de manière plus générale),

– la nature disproportionnée des techniques de surveillance utilisées, en raison de leur caractère indifférencié et des critères permettant d’y recourir,
– l’absence de véritable contrôle juridictionnel préalable par une autorité indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ne donnant qu’un avis simple au Premier ministre, laissant à l’Exécutif toute latitude pour opérer la mesure. Le contrôle a posteriori par le Conseil d’Etat y est absolument insuffisant au regard de la nature de la mesure et des modalités dans lesquelles s’opère ce contrôle.

Deux possibilités sont ouvertes par le texte.

La première relève d’un nouvel article L 852-2 du code de sécurité intérieure : la procédure classique, avec l’avis de la CNCTR et la décision du Premier ministre est applicable pour « les interceptions de correspondances échangées au sein d’un réseau de communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n’impliquant pas l’intervention d’un opérateur de communications électroniques, lorsque ce réseau est réservé à l’usage d’un groupe fermé d’utilisateurs ». Il s’agira vraisemblablement des réseaux wifi non reliés à un opérateur (réseaux internes d’une université, réseau d’un train). Ces interceptions se feront vraisemblablement par l’utilisation d’IMSI catcher et pourront être mises en œuvre par les services de renseignement et par les militaires des armées (article 9 du projet de loi), « pour l’exercice de leurs mission de défense militaire et d’action de l’Etat en mer », outre les finalités classiques.

La seconde introduit un nouveau chapitre relatif à la surveillance de certaines communications hertziennes et paraît destiné à la direction du renseignement militaire : cette fois-ci, aucune autorisation préalable du Premier ministre, ni avis de la CNCTR, qui se borne à se voir « présenter » le champ et la nature des mesures prises en application de cet article, semblant viser les interception radio et satellites. Le texte s’inspire directement du régime de la surveillance internationale, avec ses durées de conservation disproportionnées (6 ans, et jusqu’à 8 ans pour les données chiffrées).

Le Syndicat de la magistrature réitère les critiques formulées à l’encontre de la loi du 24 juillet 2015 et de ses suites, rappelées plus haut, s’agissant tant du caractère disproportionné de leur champ d’application, de leur nature et de l’insuffisance du contrôle juridictionnel opéré, a fortiori s’agissant de celles ne donnant lieu à aucune autorisation préalable.

Article 10 Sur les contrôles dans les zones transfrontalières

Le texte introduit de nouvelles modifications au régime des contrôles d’identité tel que prévu aux articles 78-2 et suivant du code de procédure pénale et 67 du code des douanes.

Il étend les possibilités de contrôles d’identité dits frontaliers « aux abords des gares » et double la durée pendant laquelle les contrôles pourront être effectués concernant les titres autorisant le séjour, qui passe de six heures à douze heures.

Un nouvel alinéa est ajouté concernant les passages frontaliers qui ne représenteraient pas une frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention de Schengen, autorisant dans les mêmes conditions que le précédent alinéa les contrôles d’identité.

Des modifications similaires sont introduites dans le code des douanes.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose à cette nouvelle extension des facultés de contrôle d’identité, tant dans la durée que dans l’espace, qui constituent des mesures disproportionnées et susceptibles de produire les conditions de contrôles discriminatoires. Alors que ce projet est présenté comme « renforçant la lutte contre le terrorisme », ce type de contrôles d’identité ne constitue pas une mesure de nature à empêcher la commission d’attentats, à l’inverse il est de nature à renforcer le légitime sentiment d’exclusion des victimes de contrôle discriminatoires. Ils sont en réalité mis au service des politiques d’immigration, toujours guidées par des politiques du chiffre.

Les conditions dans lesquelles se déroulent actuellement les contrôles d’identité aux frontières (notamment à la frontière italienne, dans les trains), sur des bases clairement discriminatoires (liées à l’apparence des personnes) doivent conduire à refuser clairement une telle extension dans l’espace et dans le temps.

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Source:: Décryptage du projet de loi instaurant un état d’urgence permanent

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