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De délinquance en déliquescence, le destin tragique de Mayotte

La confusion règne à Mayotte. «La population» érige des barrages que même les piétons ne peuvent franchir. Le territoire est paralysé. Des milices se constituent qui menacent la sécurité et les intérêts des «étrangers» et assimilés. Nous ne supportons plus nos voisins, incapables de voir que nos existences sont imbriquées les unes dans les autres.
Peinture murale dans le village de M'Gombani Mamoudzou. © daniel grosPeinture murale dans le village de M’Gombani Mamoudzou. © daniel gros

La confusion règne à Mayotte. La population érige des barrages que même les piétons ne peuvent franchir. Le service de navettes entre Grande-Terre et Petite-Terre est fermé ; pour se rendre à l’aéroport, les voyageurs empruntent les barques de pêcheurs et règlent 10 euros par personne pour traverser le bras de mer de trois kilomètres qui séparent les deux îles. Les ferveurs de l’exotisme étant sans complexe, les passagers nomment ces simples canots de pêcheur des « kwassa » en référence aux « kwassakwassa » qui transportent à Mayotte les migrants d’Anjouan, l’île voisine de l’Union des Comores. Sans le risque de naufrage ni d’interpellation à l’arrivée.Le glissement sémantique trahit l’obsession xénophobe dans laquelle l’île de Mayotte se noie et affaiblit tous les esprits. Obsession encouragée par l’État et ressassée par la presse et les média en général. Il n’est question que d’insécurité, d’immigration, d’étrangers clandestins, comme de notions équivalentes et permutables. D’habitat illégal, de délinquance juvénile, de bandes rivales attachées à des quartiers, à des villages, en bref d’une population dangereuse taxée de tous les vices dont il convient de se débarrasser.
Jeudi 15 mars, le tribunal administratif de Mamoudzou avait rejeté le recours de dix familles contre le refus de scolariser leurs enfants par la commune où elles sont domiciliées, fondant sa décision sur l’argument suivant : « Le département de Mayotte connaît depuis des années une forte évolution démographique, objectivement aggravée par un phénomène d’immigration massive difficilement contrôlé qui est le fait de populations souvent peu soucieuses des capacités d’accueil, de l’intérêt général et du bon fonctionnement des services publics du pays dans lequel elles se rendent, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé ». (Ici).
Vendredi 16 mars, des groupes de villageois ont accueilli l’arrivée d’un kwassakwassa transportant plus de cinquante personnes venant d’Anjouan et les auraient livrées à la gendarmerie. En fin de journée, la préfecture de Mayotte a publié un communiqué par lequel elle assure la population de son zèle dans la lutte contre l’immigration : « Jeudi 15 mars, deux opérations de lutte contre l’immigration clandestine ont été conduites (…) Ces opérations ont conduit à l’interpellation de 103 personnes. Ces opérations ont été renouvelées vendredi 16 mars et ont conduit à l’interpellation de 53 personnes. (…) Ces opérations dont l’efficacité dépend de la capacité des forces de l’ordre à circuler sur le territoire, sont appelées à se poursuivre et à s’amplifier dans les jours à venir. » (Ici)
Or la population la plus remontée contre les « étrangers » n’a pas attendu l’intervention de l’État pour s’organiser en milice. Certains annoncent officiellement par voie de presse (Ici) son programme d’exactions xénophobes : – Ratissage des zones suspectes à toutes activités illégales / Monter les gardes afin d’appréhender les coupeurs de route / Anéantir les constructions de bangas sauvages / Surveiller les entrées des Kwassa-Kwassa. Partout se répandent des rumeurs parfois vérifiées au sujet de décasages et de déplacements de populations.
Vendredi 16 mars dans l’après-midi eut lieu le jugement en comparution immédiate à l’issue de leur garde à vue de deux jeunes gens chargés de plusieurs chefs d’accusation suite aux événements survenus dans un quartier de Mamoudzou dans la nuit du 13 au 14 mars. (Détails ici.) Le plus âgé a 22 ans. Vêtu d’un survêtement bleu à bandes noires, de nationalité comorienne, il mimait une attitude plus assurée que son camarade. Celui-ci fêtait sa majorité lors de la nuit fatale. De nationalité française, il portait de pauvres habits : un simple T shirt noir et un léger caleçon de mousseline sans forme de ton clair dans lequel il flottait. Comme un gamin qu’il était, il ne cessait de se retourner vers le public, qu’on l’interrogeât ou non, peut-être à la recherche d’une improbable relation, d’une imperceptible compassion.
L’un est français, l’autre pas.

Peinture murale, quartier de Cavani, Mamoudzou © daniel grosPeinture murale, quartier de Cavani, Mamoudzou © daniel gros

une économie inégalitaire essentiellement informelle

La nationalité semble une notion inopérante pour comprendre ce qui se passe, même si l’antinomie français / étranger pollue tous nos raisonnements, ici ou ailleurs. L’INSEE estime à 45% la part de la population étrangère à Mayotte. Il évalue à 84% la part de celle vivant sous le seuil de pauvreté, estimé autour de 950 euros par mois. La répartition des revenus est très inégalitaire à Mayotte pour des raisons politiques et structurelles. D’une part les revenus de la fonction publique, nationale et territoriale sont indexés et majorés de 40 % par rapport au traitement métropolitain. Ainsi un fonctionnaire de l’île reçoit 140 euros quand un métropolitain touche 100 euros. A l’inverse, le SMIG horaire mahorais est fixé à 7,46 € contre 9,88 brut en métropole. On peut ainsi considérer que pour 100 € gagnés en métropole, toutes catégories confondues, le salarié du privé recevra 75 € tandis que le fonctionnaire ou assimilé touchera 140 € soit près du double. Ainsi le SMIG mensuel net pour 35 heures hebdomadaires à Mayotte ( 961,89 € ) dépasse le seuil de pauvreté de seulement quelques pièces. Encore faut-il avoir un emploi à plein-temps, et avoir accès à l’emploi. Les Fonctions Publiques nationale et territoriale apparaissent comme les véritables bénéficiaires de la départementalisation.

Aussi sur un territoire où le revenu mensuel médian avoisine 350 €, où le revenu moyen du décile le plus pauvre ne dépasse pas 90 €, l’illégalité mine-t-elle l’ensemble des transactions et des relations interpersonnelles. Dans de telles conditions, les plus pauvres, qui n’ont d’accès légitime ni aux revenus ni aux biens, sont les seules victimes de l’illégalité dont profitent sans risque de poursuite ni stigmatisation, une population plus aisée en situation d’embaucher et de loger.
L’économie informelle assure à elle-seule la survie de l’ensemble de la population et ne peut pas être combattue sans danger. Il est seulement regrettable que soient pourchassés sans répit les petits vendeurs indépendants qui vivent d’un petit commerce de rue (les vendeurs à la sauvette) et dont la police municipale confisque  les marchandises sans dresser le moindre procès-verbal : friperie, fruits et légumes, pâtisseries locales, boissons ménagères… à tel point que sont à présent totalement éradiqués du paysage urbain les étals sur tapis qui coloraient il y a peu Mamoudzou d’une ultime touche exotique, que la ville reprend le dimanche à la faveur du repos communal.
Les hommes trouvent  à s’employer dans le bâtiment, dans les champs, dans la petite restauration, ils font ce qu’ils appellent des « bricoles » ; les femmes gagnent leur misère dans la restauration traditionnelle, et surtout comme garde d’enfant ou comme employée de maison ;  contre des salaires allant de 100 à 300 euros par mois pour des journées de travail s’étirant du lever au coucher du soleil, parfois tous les jours de la semaine sans repos hebdomadaire, dans le cas des exploitations les plus honteuses.
La disponibilité d’une main d’œuvre bon marché incite à l’emploi illégal, permet à presque tous de disposer d’une nounou et tire vers le bas les rémunérations du travail non déclaré ; elle a par exemple conduit un employeur sans scrupule à congédier sans la rémunérer après un mois de travail une jeune employée de maison particulièrement fragilisée par l’absence d’hommes dans son entourage. Il reste que ce marché de l’emploi souterrain permet d’approcher le niveau du salaire médian de Mayotte, et de survivre dans un minimum de dignité, sans verser dans la mendicité, activité réservée aux enfants, à quelques grand-mères et quelques estropiés.

habitat illégal / habitat pauvre

Une fois le problème des ressources provisoirement réglé, il reste celui du logement. Le marché de l’immobilier est un autre obstacle à l’intégration des plus pauvres. L’aménagement dans un appartement de type 2, une chambre et une pièce à vivre plus les commodités, demande un budget variant entre 500 et 700 euros mensuels en fonction de l’éloignement de Mamoudzou. Il faudra compter de 100 à 200 euros par chambre supplémentaire.
L’habitat de confort est inaccessible à l’ensemble de la population non aidée par les allocations logement (APL), à savoir l’ensemble de la population étrangère et de la population française éloignée de l’emploi non dissimulé. En effet les étrangers de Mayotte en situation régulière sont piégés par le renouvellement périodique de leur titre de séjour : la grande majorité des cartes de séjour possèdent une durée de validité limitée à un an.  Les cartes de Résident, valables 10 ans, sont accordées sous conditions de ressources et de compétences linguistiques difficilement accessibles. Le renouvellement du titre s’obtient après versement d’une taxe de 269 euros. Entre deux titres, l’étranger reçoit un « Récépissé de demande de carte de séjour » qui lui enlève toute prétention à des emplois de longue durée et lui vaut radiation immédiate des services de Pôle-Emploi. Cerise sur le gâteau, le titre annuel ne donne droit à aucune des prestations sociales : allocations familiales, allocations logement, RSA …
Pour se loger les plus pauvres parmi la population doivent donc s’adresser à des logeurs qui louent illégalement des cases en tôles dans les quartiers pauvres, appelés ici « les banga » par métonymie avec la maison d’une pièce que le terme désigne en shimaore, ou autrement dit les « bidonvilles » à la lisière des villages. Le loyer mensuel d’une case en tôle varie selon le nombre de pièces et selon qu’elle est construite sur une dalle en béton ou sur terre battue : il oscille entre 50 et 150 euros sur la commune de Mamoudzou. Le locataire devra trouver un compteur d’eau et d’électricité où se raccorder, si ce n’est déjà fait et régler l’ensemble de la facture, la consommation de l’abonné incluse, qu’il partagera éventuellement avec des voisins branchés au même compteur. Si le ménage est insolvable, les femmes et les jeunes filles assureront quotidiennement la corvée d’eau, remontant vers la case le seau de 10 litres sur la tête, eau qu’elles auront puisée à une fontaine à carte électronique ou réglée à un fournisseur privé entre 10 et 20 centimes.
Des logements de fortune sont disponibles également en zone urbaine, dans des maisons en dur, sous les appartements des propriétaires, au-dessus dans une cabane en tôle sur les dalles de toit, ou bâtis dans les cours. Une pièce d’une dizaine de mètres carré, posée sur une chape de ciment, faite de simples murs de parpaings percée d’une fenêtre sans huisserie et d’une porte souvent fermée d’une simple tôle sera louée avant d’être bâtie, et occupée par une famille, mère et enfants, le béton encore frais, pour un loyer de 120 à 200 euros selon l’éloignement par rapport au centre de la commune de Mamoudzou. En cas de défaut de paiement, le locataire et sa famille seront expulsés sans délai, tous les biens sortis sur le trottoir.
La formule de « l’habitat illégal » dénonce les « étrangers » récemment débarqués qui érigeraient leur case sur une parcelle sans titre de propriété. Pourtant, en règle générale, les familles sont installées par un propriétaire sur une parcelle ou dans un logement qui lui appartient ou qu’il prétend lui appartenir. Ainsi le soupçon d’illégalité pèse toujours sur les plus démunis alors que la plupart règlent un loyer et sont privés de leurs droits fondamentaux à la protection et à l’insertion. Le refus de bail et le refus de quittance systématiques entraînent un défaut de domiciliation pourtant indispensable à toute démarche administrative : déclaration obligatoire des revenus ; inscription des enfants à l’école ; demande et renouvellement des titres de séjour ; recherche d’emploi… Par conséquent les familles peinent à scolariser leurs enfants et souvent n’y parviennent pas ; cherchent des personnes bienveillantes, que l’État menace de poursuivre, pour obtenir une adresse de complaisance afin de déposer leur demande de régularisation, d’ouvrir un compte bancaire, d’affilier eux-mêmes et leur famille à la Caisse de la Sécurité Sociale de Mayotte.

La population la plus pauvre de Mayotte se retrouve ainsi sous le joug d’employeurs ou de logeurs possédant les moyens financiers d’embaucher « au noir » et disposant de pièces vacantes ou de cabanes de jardin, soit dans leur voisinage urbain ou sur des parcelles en marge du village. Elle est accusée d’abandonner ses enfants à la délinquance juvénile alors qu’elle subit elle-même quotidiennement et sans répit la domination illégale et rarement poursuivie ni dénoncée de ceux qui les exploitent et les stigmatisent.

 

Peinture murale, quartier de Mtsapere, Mamoudzou © daniel grosPeinture murale, quartier de Mtsapere, Mamoudzou © daniel gros

 

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