Journaliste, écrivain

Loin de Daech, de son messianisme religieux, de son choc civilisationnel (réel ou fantasmé), de son folklore morbide à base d’esclaves sexuelles, de son exportation en nos contrées, il y a cette autre guerre qui ne dit pas son nom, rarement évoquée par les médias : celle de la drogue en général, et qui embrase le Mexique en particulier.

Là-bas, deux cent mille morts depuis 2006 ; ce n’est pas rien. Et tout ça pour quoi ? Pour rien, justement, sachant que la production et le trafic d’héroïne y sont en continuelle explosion. En 2015, 24.800 hectares consacrés à la culture du pavot à opium. Un an plus tard, 32.000 hectares. En 2013, 26 tonnes d’héroïne produites. En 2016, 81 tonnes…

La « qualité » progresse elle aussi. Cette héroïne de plus en plus « pure » est désormais « augmentée » de fentanyl, un « opioïde de synthèse ». On dit que le chanteur Prince n’aurait pas survécu au cocktail.

Au sommet de cette internationale du crime, le tristement célèbre cartel de Sinaloa, dont la flotte aérienne alignerait plus d’avions qu’Aeroméxico, la compagnie nationale mexicaine. Toujours dans le registre de ces chiffres propres à donner le vertige, ce cartel bénéficierait d’un armement, blindés lourds et légers, troupes et encadrement, surclassant de loin celui de l’armée régulière, à en croire le criminologue Xavier Raufer, bien connu de nos lecteurs. Bref, une sorte d’État dans l’État, autrement plus mortel, durable et installé que… l’État islamique.

Le secret de son exceptionnelle longévité est, évidemment, à aller chercher du côté d’une corruption endémique et quasi institutionnelle. Officiellement, Mexico a déclaré une guerre totale aux cartels. Avec un succès tout relatif. Eugenio Hernández Flores, gouverneur du Tamaulipas, arrêté en octobre dernier, sera-t-il un jour jugé en bonne et due forme, sachant que sur les cinq principaux témoins, un a disparu, un s’est suicidé, tandis que deux autres ont été assassinés ? Les chances de survie du cinquième paraissent bien minces.

Ce, d’autant plus que ce crime, non content d’être organisé, est désormais mondialisé, suivant en cela la marche d’un monde sans frontières, avec joint-ventures sur tous les continents. Il exporte à tout va et importe tout autant ; des armes, principalement, venues des États-Unis. En ce sens, le mur promis par Donald Trump sur le Río Grande met tout le monde d’accord en faisant rire des deux côtés du fleuve…

Ce, d’autant plus qu’il est des problèmes que parpaings et fusils d’assaut ne sauraient résoudre à eux seuls. Si la drogue se vend par dizaines de tonnes, c’est aussi parce que les drogués existent par millions. Sans clients, pas de bizness : les néo-capitalistes du secteur l’ont compris de façon stupéfiante. Ils comblent un vide. Le nôtre, celui que nos sociétés ont créé et qu’elles lèguent à nos enfants. Société vide de sens poussant certains à une autre perte des sens, celle que procurent les substances opiacées, et d’autres à cette quête de sens tout aussi suicidaire, désormais incarnée par une religiosité devenue déviante.

D’une manière ou d’une autre, personne n’est véritablement innocent dans cette affaire.