Le ministre de l’Intérieur joue un rôle clef auprès du chef de l’Etat compte tenu de son expérience et de sa connaissance du terrain.

Dans l’avion qui le ramène ce week-end du congrès des sapeurs-pompiers à Ajaccio, Gérard Collomb se fige quand on l’interroge sur les critiques à son égard. A quelques jours du discours ce mercredi d’ Emmanuel Macron sur la sécurité , il réplique en se remémorant une scène qui, vingt ans plus tard, fait encore redresser sa silhouette voûtée.

Arrivé avant les cordons de CRS pour discuter avec les émeutiers dans le quartier de la Duchère qui s’enflamme en ce mois de novembre 1997, Gérard Collomb, alors maire du 9e arrondissement de Lyon, est vite encerclé. Les coups de bombe de peinture qu’il reçoit dans le dos deviennent, au fil des échanges, coups de cutter dans son manteau. « J’ai une connaissance du terrain, cela donne un sens des réalités. C’est ma valeur ajoutée, j’ai pas mal vu la France ces vingt-cinq dernières années. Je crois connaître un peu les sensibilités du pays », lâche le ministre de l’Intérieur, numéro deux du gouvernement Philippe.

Là pour « servir »

Ce poste, toujours ultra-exposé, qui plus est en période de forte menace terroriste, Gérard Collomb assure à qui veut l’entendre qu’il ne constitue pas un plan de carrière. A soixante-dix ans, il a passé l’âge. Lui répète qu’il est là pour « servir ». Et n’a de cesse – trop, lui reprochent ses détracteurs – de s’appuyer sur son expérience d’ex-sénateur-maire PS de Lyon, qu’il décrit comme celle d’un « généraliste » : « Vous êtes le médecin de quartier de la politique. » Lyon, c’est son thermomètre. Gérard Collomb, c’est d’abord un maire de banlieue », avance l’un de ses proches.

Compagnon de route d’Emmanuel Macron dès les débuts, il a pesé durant la campagne en mettant à disposition ses réseaux d’élus et en collectant les indispensables parrainages de maires. Ceux-ci n’oublient pas, en retour, de lui faire aujourd’hui passer des messages.

Un « capteur »

« Il est du premier cercle. Il a été une pièce maîtresse de la campagne et il le reste, il y a toujours la même relation de confiance », soutient-on à l’Elysée. Et puis, au-delà de sa proximité intellectuelle avec le chef de l’Etat, ce ministre ultra-politique demeure un « capteur, confirme l’Elysée. Il remonte une expérience qui nourrit le président ». De quoi compenser un manque quand le chef de l’Etat, contrairement à ses prédécesseurs, n’a pas d’expérience locale ; quand le parti majoritaire est en gestation et que la majorité comme le gouvernement comptent peu de véritables relais locaux.

Celui qui a armé après l’attaque du Bataclan sa police municipale à Lyon, et y a porté le rapprochement entre police nationale et police municipale, a aussi travaillé le projet sécurité du candidat. « Il a été d’un très grand soutien sur la police de sécurité quotidienne, ce qui n’allait pas de soi dans le débat politique quand la droite caricaturait la police de proximité. C’est directement lié à son expérience de maire », relève Didier Casas, conseiller chargé des questions régaliennes auprès du candidat Macron.

L’objectif : « une société apaisée »

Cette police, censée « reconquérir un certain nombre de territoires aujourd’hui très dégradés d’un point de vue de la sécurité », Gérard Collomb l’imagine « diverse selon les typologies de villes, de quariters, de zones rurales ». Un dossier crucial pour celui dont l’objectif est, assure-t-il, « une société apaisée ». Mais un dossier délicat en période de malaise durable dans la police, « un corps social à reconnaître »,souligne un proche du ministre.

En première ligne sur la lutte contre le terrorisme, Gérard Collomb a aussi fait passer, sans trop de vagues,  la loi sur la sécurité intérieure , aidé malgré lui par des oppositions LFI et LR, l’accusant d’ultra-sécuritarisme ou d’ultra-laxisme.

Madré, manoeuvrier, très IIIe République

« Nous avons réussi à bâtir, dans la tradition lyonnaise, des convergences », sourit celui qui est décrit par ses adversaires comme « madré, manoeuvrier, très IIIe République » et qui a reçu à tour de bras les parlementaires sur le sujet.

« Dans la lutte contre le terrorisme, il y a le visible et l’invisible. J’ai voulu donner à voir certains points de cet invisible pour montrer combien la menace est forte », tranche-t-il, soudain grave. Le sujet souffre peu pour lui la discussion, ainsi que le rapportent des parlementaires de la majorité, encore effarés par l’une des homériques colères qu’ils l’ont vu pousser face à une question de l’un d’entre eux – délicate certes – sur la place du juge des libertés et de la détention sur les assignations à résidence.

Un « social-réformiste »

La loi immigration sera un autre dossier majeur et, sur le sujet, la pression sur lui est montée d’un cran après l’attentat de Marseille, le chef de l’Etat exigeant d’être « intraitable » avec les délinquants étrangers en situation irrégulière.

Au PS, Gérard Collomb, qui se définit comme « social-réformiste »,n’était pas considéré comme issu de la gauche. Il n’a d’ailleurs jamais été ministre auparavant et il a lui fallu attendre l’élection d’Emmanuel Macron. Mais la critique d’une politique – la sienne et celle du gouvernement – qui serait trop à droite, il la balaie d’un revers de la main. « Un faux débat, veut-il croire. La vraie question, à la fin, c’est : avons-nous réussi à transformer la vie quotidienne des gens ? »

Il plaide à cet égard auprès du chef de l’Etat pour que soit publié un livret avec les engagements tenus et la date de leur entrée en vigueur. L’intuition du « capteur », qui sent l’impatience du terrain. Et sait la difficulté à obtenir des résultats.

Isabelle Ficek