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Faux papiers : un marché juteux en plein essor

Posted On 17 Fév 2019
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Après la drogue, la géolocalisation des points de deal sur Google map, le marketing sur les sachets de cannabis, les malfaiteurs élargissent leur champ de compétences. Ils ne manquent décidément pas d’ingéniosité, notamment sur le réseau social Snapchat, une application de discussion éphémère qui est inondée de petites annonces illégales.

Au menu cette fois, il est question de fabrication et de vente de documents falsifiés. Pièce d’identité, permis de conduire, justificatifs de domicile ou encore déclaration d’imposition… tout y passe. Et cette impressionnante collection de faux est exposée aux yeux de tous, sur cette messagerie instantanée, comme si les frontières du darkweb avaient soudainement disparu.

Motivés par l’appât du gain, les imposteurs usent de tous les moyens pour approcher de nouveaux clients. Ils encourent pourtant 5 ans de prison et 75 000 € d’amende. «Un faux document peut se fabriquer en investissant une centaine d’euros, il se revend entre 600 et 10 000 €. Les usurpateurs se font beaucoup plus d’argent qu’avec la vente de produits stupéfiants et c’est moins dangereux», juge le commandant Partouche, responsable du département de la fraude documentaire à l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN).

Pour vivre, travailler et bénéficier des aides

Malgré la vigilance des forces de l’ordre, près de 25 000 faux sont saisis chaque année sur le territoire français, ce commerce illégal bat son plein. Du petit malfaiteur au migrant sans papier, en passant par les individus recherchés, tous ont intérêt à changer d’identité. «Il n’est pas rare qu’un homme en situation irrégulière se présente avec des photocopies d’un faux acte de naissance ou d’un permis de travail falsifié pour acquérir des papiers légaux», observe un gendarme de la Cellule de lutte contre le travail illégal et les fraudes (CELTIF). Cela peut lui permettre de vivre, travailler ou bénéficier des acquis sociaux, sans que l’on puisse le détecter Mais d’expérience, le militaire prévient qu’il est impossible de disparaître totalement des radars.


Les gendarmes passent les documents au crible

«Aujourd’hui, les documents officiels sont tellement sécurisés, qu’il est impossible de réussir à les copier intégralement et sans défaut, prévient un gendarme de la Cellule de lutte contre le travail illégal et les fraudes (CELTIF) de Toulouse. Mais on peut faire des répliques très ressemblantes», concède-t-il. Chargée de contrôler les justificatifs administratifs suspects récupérés par les hommes de terrain, cette équipe composée de quatre personnes connaît quasiment tous les subterfuges employés par les faussaires. Ils n’ont besoin que d’un simple coup d’œil pour repérer les défauts présents sur une réplique. «Lorsqu’elle tombe, cette pièce d’identité ne fait pas un bruit habituel. Puis les trous miniatures présents autour de la photographie sont absents», constate un des enquêteurs.

Les gendarmes sont désormais formés

«Le plus souvent, les malversations concernent les permis de conduire et les pièces d’identité», confirme le responsable du service. Ce mercredi, il vérifie également l’authenticité d’un passeport marocain. «Les indices se trouvent partout. D’abord, sur la partie visible à l’œil nu, on regarde si les ancres optiquement variables sont présentes, si la police d’écriture est la même, le relief des inscriptions et la grosseur des chiffres importent eux aussi, tout comme les logos apposés», précise le spécialiste. Puisque tout semble conforme, le militaire utilise une station d’analyse de documents, capable de faire apparaître des écritures illisibles au premier regard ou de faire ressortir des inscriptions grâce à un rayon ultraviolet. «Vous voyez la ficelle qui délimite les pages de ce passeport est colorée. Généralement, les faussaires n’arrivent pas à reproduire cet effet sur un faux. Maintenant, on est quasiment assuré que c’est un passeport officiel», poursuit le gendarme, dans sa démonstration.

Chaque année, il vérifie une dizaine de documents pour s’assurer de leur authenticité. Un nombre qui pourrait être doublé, si les forces présentes sur le terrain disposaient de plus de temps et d’une formation adéquate. «Petit à petit, les brigadiers sont entraînés pour rapidement repérer des petits détails qui font la différence entre un vrai et un faux. Mais les circonstances d’un contrôle d’identité ne permettent pas toujours d’approfondir les vérifications des documents présentés. Les aléas de notre métier font que les gendarmes n’ont pas forcément le temps de passer un permis à la machine. Cette situation profite aux imposteurs qui misent sur la chance pour se glisser entre les mailles du filet».

Les faux servent aussi dans le milieu du travail. Lorsqu’un sans-papiers cherche un emploi par exemple, il peut s’arranger pour falsifier un titre de séjour, et obtenir un permis de travail. «C’est déjà arrivé effectivement. Nous faisons tout pour déceler ce genre de filouterie», prévient le responsable du Celtif.


5 ans de prison 75 000 € d’amende

Le délit de faux ou d’usage de faux est puni jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende. Si une même personne fabrique et utilise des faux documents, elle risque une seule peine de prison ou d’amende. Les peines sont aggravées si le faux document est un document délivré habituellement par une administration (faux papiers, fausse carte Vitale…), dans ce cas, la sanction peut aller jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.

La simple détention d’un seul faux document est punie jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende.

Si un individu détient de plusieurs faux documents la sanction est évidemment alourdie. Il encourt alors jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende. Une sanction équivalente à celle du fabricant…


Commandant Partouche : «Ces documents se monnayent entre 600 et 10 000€»

Le trafic de faux document est-il fréquent en France ?

On fait face à une vraie problématique. Mais c’est difficile à savoir puisque le faux connu est celui qui a été détecté. Tous ne sont pas judiciarisés c’est-à-dire que cela n’entraîne pas toujours une enquête s’il n’y a pas de plainte de la part d’une victime. Au niveau national, on saisit près de 25 000 faux par an comprenant beaucoup de permis de conduire, des faux documents d’identité. La France est l’un des deux pays les plus touchés par ce phénomène en Europe en termes de volume.

Quand vous dites «saisis», ça veut dire qu’il est détecté et qu’il y a une victime ?

Cela veut effectivement dire qu’il y a une ou plusieurs victimes qui ont déposé plainte et que l’on a mis la main sur le document falsifié. Certaines victimes de faux ne déposent pas plainte, dans ce cas cela échappe à la comptabilité.

Pourquoi les délinquants se spécialisent dans ce domaine ?

Ils vous le diront mieux que moi, mais j’imagine qu’ils savent que le délit de faux et usage de faux est pénalement moins risqué qu’un crime. Cela peut être condamné entre trois et cinq ans de prison ferme et 75 000 € d’amende, en fonction du profil du malfaiteur. L’autre raison, c’est que cela ne nécessite pas forcément un équipement onéreux lorsqu’on débute. La plupart des gens n’y connaissent rien, donc les faux fournis sont souvent de piètre qualité. Pour un investissement minime de quelques centaines d’euros, il est possible de le rentabiliser dès la première vente. Ce genre de documents se monnaie entre 600 et 10 000 € par pièce, en fonction de sa qualité. Cela rapporte donc beaucoup d’argent et ça paraît moins risqué que le trafic de stupéfiants par exemple.

Est-ce un phénomène nouveau dans les quartiers sensibles ?

Non, c’est un phénomène connu. La majorité des faussaires attrapés sont issus de ces quartiers.

Les conséquences de la circulation de faux documents sont multiples…

Les conséquences sont avant tout économiques. L’usage de faux se fait pour obtenir une prestation à laquelle normalement, on n’a pas droit. Le coût est immédiat et se répercute sur une vie entière. Si quelqu’un se procure des papiers en règles grâce à des documents frauduleux, qu’il ne travaille pas, touche des minima sociaux etc.…, le coût pour la société est non-négligeable. Surtout sur le long terme.

Êtes-vous inquiet en constatant que ces malfaiteurs se servent des réseaux sociaux ?

La pratique nous inquiète parce que cela leur permet d’avoir accès à des réseaux plus vastes. Internet a banalisé la chose, à tel point que les contrevenants pensent parfois qu’ils sont dans leur bon droit.

Comment peut-on démanteler ce genre de réseaux ?

Cela nécessite beaucoup de temps, du savoir-faire et du réseau. Une fois qu’on a interpellé un des auteurs, qui portait le faux ou en faisait usage, cela nous donne quelques informations. On peut aussi former nos équipes de terrain pour déceler plus rapidement ces faux.


Enquête

« Plus d’argent et moins de risque qu’avec la drogue… »

«Permis de très bonne qualité pour (passer) tous les contrôles de police, tromper les banquiers etc. Prix 1 000 €.», publie Hichem (1) sur son compte Snapchat, une application sur smartphone de discussions éphémères. Surpris par cette annonce sur un réseau social ouvert à tous, un journaliste de la Dépêche du Midi s’est fait passer pour un potentiel acheteur de permis de conduire. «Mon frère, je te livre en quatre jours. Envoie-moi une photo de toi et de ta carte d’identité, ainsi qu’un acompte de 750€. Tout est vrai», répond-il par message privé pour le rassurer. Le faussaire accepte même de lui donner rendez-vous près de la faculté Jean-Jaurès, au Mirail, pour montrer la qualité des documents qu’il fabrique et prouver que ce n’est pas une arnaque.

Assis sur un banc proche de la fac, bonnet marron vissé sur la tête qui masque à peine ses longs cheveux noirs, jean bleu et sweet à capuche pour être discret, il attend le client flairé sur Snapchat : «Nous travaillons à plusieurs, et le rendu est très professionnel», explique-t-il en montrant une vidéo et des photographies sur son téléphone, dans lesquelles il expose des permis français, portugais ou encore italien.

Véritable business ou simples subterfuges pour récupérer de l’argent facile ? Difficile à dire.

En comparant ces faux permis avec les originaux, les différences ne sautent pas aux yeux. D’après les dires d’Hichem, certaines répliques passeraient même les contrôles ultraviolets, censés déceler les imperfections. «Si le brigadier ou le policier n’a pas l’œil pour repérer les petits détails et n’a pas le temps de contrôler le papier avec une machine, le tricheur nous échappe», confirme un gendarme de la Cellule de lutte contre le travail illégal et les fraudes (CELTIF). En revanche, ce faux permis fera difficilement illusion s’il est soumis à une vérification plus précise. «En cas de doute sur sa validité, on le réquisitionne. Il est quasi-impossible que des malfaiteurs puissent réussir à copier à l’identique un permis de conduire ou un passeport, il existe tellement d’éléments différents, des codes de couleurs, du relief ou des textes cachés», témoigne le spécialiste du CELTIF.

Cela n’empêche pas les délinquants de monnayer leur prestation à prix d’or. «C’est moins risqué qu’un go-fast et ça peut rapporter plus, entre 600€ et 10 000 € par document. Il suffit parfois de voler un permis de conduire et d’en faire fabriquer un avec une autre photo…», raconte le commandant Partouche, responsable du département de la fraude documentaire à l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN).

Fiche de paie, justificatif de domicile…

Snapchat est utilisé comme une véritable vitrine par les trafiquants toulousains. Ils y dévoilent toutes leurs combines. Dans une publication lisible par tous ses contacts, Hichem propose même un changement total d’identité contre 1000€. «Si tu veux te faire passer pour quelqu’un que tu connais, vole lui ses papiers, on se charge du reste».

Pour une centaine d’euros, ce faussaire fournit aussi «des fiches de paie, facture EDF, déclaration d’impôt, assurance, on vous livre tout ce dont vous avez besoin pour les dossiers d’appartement».

«Copier un justificatif de domicile, ou un certificat de naissance, c’est assez simple à faire», constate le gendarme du CELTIF.

Une fois ces imitations en main, trouver un logement, un emploi, retirer de l’argent, voire contracter un prêt bancaire devient presque un jeu d’enfants. Les plus motivés peuvent tout simplement changer de vie ou voler celle d’un autre.

«Attention à ne pas prendre l’identité d’un gars recherché. On ne vous garantit rien», écrit un autre imposteur sur un compte Snapchat du quartier des Izards. Ce trentenaire attiré par ce marché très lucratif estime que «la concurrence» est rude, «on fait tous ça maintenant dans la cité. On a moins de chance de se faire attraper qu’avec la drogue, puisque tout se fait grâce à internet».

Les étrangers en situation irrégulière sur le territoire français profitent eux aussi de ces réseaux souterrains. Cela les aide à régulariser leur situation. «Un sans-papiers peut se servir de documents frauduleux pour acquérir des papiers légaux. Et dans ce cas-là, il se fond dans la masse et on ne le retrouve pas», concède un agent de la police aux frontières (PAF).

Dans la Ville rose, plusieurs dizaines de faux sont récupérées chaque année, puis mis sous scellés. Il en circule certainement des centaines d’autres via ces réseaux sociaux, difficilement contrôlables.

R. B. (1) prénom modifié
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