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ENQUETE FRANCEINFO. « ICI, C’EST DEVENU ‘THE WALKING DEAD' » : L’INSOLUBLE CRISE DU CRACK DANS LE NORD-EST DE PARIS

Posted On 02 Oct 2018
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Il a suffi d’un regard. En traversant la place de la Bataille de Stalingrad, dans le 19e arrondissement de Paris, la jeune toxicomane aux cheveux noués en chignon a tout de suite attiré l’attention du rabatteur. Pour passer inaperçu, l’homme d’une cinquantaine d’années s’est fondu parmi les dizaines de migrants qui suivent les cours de français dispensés par des associations sur la place. Il laisse la cliente passer devant lui, puis lui emboîte le pas. Le dealer, lui, attend en haut des escaliers qui longent le square. Argent dans une main. Galette de crack dans l’autre. La transaction se déroule en quelques secondes. En plein jour et aux yeux de tous.

La scène est d’autant plus étonnante qu’elle se déroule alors que la place Stalingrad est cernée par les forces de l’ordre. A 30 mètres de là, quatre camions de CRS sont en faction sur le parvis. Des renforts policiers ont été dépêchés sur place depuis qu’un homme décrit comme « hagard » a poignardé plusieurs personnes non loin de là, dimanche 9 septembre. Quelques jours plus tard, les analyses toxicologiques ont montré que le suspect n’avait pas agi sous l’emprise de la drogue. Pourtant, la rumeur a eu le temps de faire son chemin dans ce quartier, théâtre depuis plusieurs mois d’un retour fracassant du crack.

« Ça ne change rien, il y a toujours des ‘modous’ ici, toujours du ‘caillou' », explique la femme au chignon avant de disparaître dans le métro. Le terme « modous » – qui peut se traduire par « petit négociant » en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal – désigne les vendeurs de crack, originaires d’Afrique de l’Ouest, qui opèrent dans le métro ou dans la rue. Le « caillou » est l’un des surnoms donnés au produit, un dérivé de cocaïne extrêmement addictif qui se fume avec une pipe. A Stalingrad, autour de la porte de la Chapelle (18e arrondissement de Paris) ou dans le métro, franceinfo a enquêté sur le trafic de crack. Habitants, toxicomanes, policiers et élus racontent ce fléau.

UN QUARTIER AU BORD DE LA CRISE DE NERFS

Un autre soir, vers 21h30, les fêtards ont investi la place Stalingrad. Une vingtaine de clients font la queue devant un restaurant en vogue. En attendant qu’une table se libère, l’un d’eux lit le texte affiché au mur. « Stop au marché du crack qui nous met en danger », est-il écrit en grosses lettres rouges, sur cette pétitionadressée au préfet et déjà signée plus de 3 000 fois.

La nuit, la cohabitation entre les jeunes branchés qui fréquentent les bars du quartier et les toxicomanes en grande précarité crée des scènes troublantes. « Non ! Ne lui file pas ton briquet », lance le patron d’un restaurant à un client qui voulait dépanner un homme. Trop tard. Le « cracker », dont le pantalon tombant laisse apparaître les fesses nues, s’assoit devant la porte d’un immeuble et allume sa pipe de crack. « Oh non… »soupire le propriétaire du briquet.

Le crack que l’on trouve dans la rue est souvent considéré comme une « drogue du pauvre », à cause de son faible prix et de sa composition parfois douteuse. « Il suffit d’acheter de la coke à laquelle tu ajoutes du bicarbonate de soude ou de l’ammoniaque. Pour faire plus d’argent, certains ‘modous’ coupent ça avec des cochonneries, comme du Subutex [un substitut de l’héroïne] ou de l’aspirine », raconte sous couvert d’anonymat la compagne d’un modou, dont l’appartement sert régulièrement de fabrique de crack.

Le mélange est ensuite cuit et découpé en petits cubes qui ressemblent à des morceaux de parmesan. Ces « galettes » se négocient entre 15 et 20 euros l’unité, selon leur taille et leur qualité. Un consommateur peut en tirer jusqu’à quatre « kiffs » (quatre doses, quatre bouffées) et ressentir une « défonce » d’environ une demi-heure.

Mais pour les « crackers » les plus dépendants, les effets du « caillou » deviennent fugaces et laissent place à un terrible manque. La « descente » peut rendre paranoïaque, provoquer des crises d’angoisse. Pour y remédier, les toxicomanes les plus précaires font la manche et marchent parfois des dizaines de kilomètres à la recherche d’argent pour acheter de nouvelles doses. Excédés et épuisés, certains deviennent agressifs. « Putain, mais t’es sérieux ! T’as même pas 50 centimes ? Tout le monde me laisse dans la merde », lâche ainsi, menaçant, un mendiant au visage à moitié brûlé et aux doigts sectionnés.

« On n’en peut plus ! Mes clients sont harcelés toute la soirée par des toxicos. C’est devenu ‘The Walking Dead’ ici », se lamente un tenancier de bar.

Les mecs ne tiennent plus debout. Il y a quelques jours, il y a un « cracker » qui est tombé sur une table en terrasse et a renversé tous les verres.

Le propriétaire d’un bar près de la place Stalingrad

Le matin venu, le quartier retrouve son côté familial. Mais après avoir passé la nuit en quête du « caillou », certains toxicomanes se sont endormis à même le sol. « Mon fils de 5 ans n’arrête pas de me poser des questions. ‘Qu’est-ce qu’il a le monsieur ?’ ‘Pourquoi il dort par terre ?’ Comment vous voulez que je lui explique que c’est à cause de la drogue ? s’indigne Sophia, une jeune mère. Je lui raconte que c’est parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils n’ont pas de famille, mais du coup, il veut les aider… Je lui répète tout le temps qu’il ne faut pas les approcher, mais il ne comprend pas. »

Dans le 10e arrondissement voisin, la proximité du canal Saint-Martin et le prix du mètre carré ont fait de ce quartier un endroit prisé des CSP+ souhaitant devenir propriétaires. Certains, qui rêvaient d’un quotidien à la Amélie Poulain, tombent de haut. « C’est un quartier mixte, très agréable pour certaines choses, mais je peux vous dire qu’on est loin de l’image idyllique des films quand on est réveillé à 4 heures du mat’ par des junkies qui hurlent sous votre fenêtre », raconte Anouck, qui regrette aujourd’hui de s’être « endettée sur vingt-cinq ans » pour acheter son appartement.

A la recherche d’un abri pour dormir, certains consommateurs de crack forcent les portes des immeubles. « Ça peut faire peur, la nuit, de savoir qu’il y a des personnes défoncées dans le couloir, surtout lorsqu’elles sont en plein délire. Elles hurlent, tapent dans les murs, témoigne une autre habitante du 10e arrondissement. Je n’ose pas forcément sortir de l’appartement dans ce genre de moment. Ce sont des gens qui ont besoin d’aide, qui cherchent un endroit tranquille. Seulement, la communication est impossible lorsqu’ils sont drogués. »

Un toxicomane endormi dans le 19e arrondissement de Paris.
Un toxicomane endormi dans le 19e arrondissement de Paris. (VINCENT WINTER / KOCILA MAKDECHE)

LA QUÊTE SANS FIN DU « CAILLOU »

Quinze heures, porte de la Chapelle. Assis sur un banc, à quelques mètres d’un arrêt de bus, Thierry glisse sa main dans la poche de sa chemise blanche devenue trop grande pour lui. L’homme, qui dit avoir 39 ans mais qui en fait 10 de plus, flotte dans son pantalon. Ses poignets sont osseux. Ses pommettes, saillantes. Il sort un petit scalpel pour découper une galette de crack, puis garnit le filtre de sa pipe qu’il allume avec deux briquets. Quand les volutes de fumée blanche se dissipent, son regard se fixe. Plus réceptif, il accepte de répondre aux questions qu’on lui pose en échange d’une cigarette.

Avant le crack, Thierry était informaticien et vivait en famille dans un appartement du 19e arrondissement. « J’étais déjà un peu dans la C [la cocaïne], mais rien de méchant. J’ai une gamine de 9 ans. Puis, il y a quatre ans, ma femme est partie avec la petite et là, je suis vraiment tombé dedans », raconte-t-il en tortillant ses lèvres pour cacher les dents qu’il n’a plus.

Il explique vivre aujourd’hui grâce au RSA dans un « petit studio » qu’il partage avec un ami à Aubervilliers, de l’autre côté du périphérique. Contrairement aux idées reçues, tous les consommateurs de crack ne sont pas à la rue, comme l’explique une enquête de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie. Le trentenaire avoue avoir « honte » à l’idée de consommer « comme ça, dans la rue, devant les familles »« Je fume ici parce que sur la ‘Colline’, c’est trop dangereux », se justifie-t-il en pointant son doigt vers l’échangeur de la porte de la Chapelle.

Sur la ‘Colline’, il y a trop de gratteurs. Tu peux te faire suriner [frapper] pour une galette par un type en plein craving.

Thierry, un toxicomane

Les toxicomanes ont un langage bien à eux. Le « craving » fait référence à l’envie irrépressible de fumer une nouvelle dose une fois que les effets de la première s’estompent. La « Colline au crack » est le nom donné à un talus qui jouxte une voie d’accès au périphérique de la porte de la Chapelle. Ce squat à ciel ouvert est l’un des principaux points de vente de Paris.

Le lieu a été évacué en juin dernier et, depuis, les opérations de police se multiplient pour tenter de chasser les toxicomanes qui y reviennent constamment. Le 7 septembre, 11 personnes y ont été interpellées pour « infraction à la législation sur les stupéfiants » et 6 000 euros ont été saisis, selon la préfecture de police. Quatre jours plus tard, cinq autres personnes ont été arrêtées, avec 17 « cailloux » et 1 450 euros en poche. Plusieurs toxicomanes interrogés parlent aussi de ce bidonville comme d’un lieu de prostitution.

Là-bas, il y a des filles qui enchaînent les passes pour se payer des galettes. Elles font ça pendant des heures, voire des jours, jusqu’à ce qu’elles tombent. C’est un truc de malade.

Une « ancienne toxicomane » qui a fréquenté la « Colline »

Capuche sur la tête, Nadia* remonte la rue de la Chapelle en interpellant chaque passant pour demander « une pièce ou un ticket restaurant ». « Putain, je ne suis pas une pute à ‘caillou’ de la ‘Colline’ ! C’est pour me payer un hôtel, pas pour la drogue ! » s’énerve-t-elle d’emblée lorsqu’on refuse de lui donner de l’argent.

Nul besoin d’être médecin pour deviner qu’elle souffre du manque. La femme de 29 ans, au visage pas encore trop marqué par sa toxicomanie, tremble et ne cesse de se frotter les bras. Elle fixe aussi continuellement le sol. « On appelle ça le syndrome de la poule, décrypte une ancienne accro. C’est quand tu es tellement en galère que tu cherches par terre un bout de ‘caillou’, comme une poule qui picore. »

Nadia explique être tombée dans la drogue il y a deux ans, en consommant d’abord du Skenan, un antidouleur puissant à base de morphine. Prescrit pour les douleurs cancéreuses, il est détourné par les toxicomanes qui se l’injectent. « J’ai commencé le Sken à cause d’un connard qui m’a fait mon premier fix. C’est à cause de lui que je suis dans le crack aujourd’hui. Ce sont les mecs qui m’ont gâché la vie, ça a toujours été comme ça », raconte-t-elle avant d’interrompre la discussion lorsque nous refusons, pour la énième fois, de lui donner une pièce.

Nous finirons par retrouver Nadia environ deux heures plus tard sur cette même rue de la Chapelle. Accompagnée d’un homme, dont la casquette ne laisse apparaître que la moustache, elle s’engouffre dans une sanisette au sol jonché de détritus. Au bout de cinq minutes, elle ressort d’un pas vif et disparaît dans le métro. Derrière elle, le moustachu reboucle sa ceinture.

L’ÉTERNELLE TRAQUE DES « MODOUS »

Il est 6h20, station Gare de l’Est, dans le 10e arrondissement. Les lève-tôt sortent du métro en grognant quand un homme allume sa pipe à crack en plein wagon. Historiquement, le métro est un important lieu de vente de crack et certains usagers y passent plusieurs jours à consommer sans sortir à la surface, comme l’explique l’OFDT.

L’hiver dernier, la situation a atteint un niveau tel que les conducteurs de métro ont décidé d’arrêter de desservir certaines stations de la ligne 12, comme Marx-Dormoy ou Porte de la Chapelle, dans le nord de Paris. « A cause du froid, les toxicomanes consommaient directement sur les quais ou dans les rames », se rappelle Alain Le Luron, délégué Unsa-RATP et chauffeur sur la ligne.

Une fois, à Marx-Dormoy, j’ai dû freiner en urgence après un virage parce que deux « crackers » étaient sur les voies. Par miracle, ils sont passés à côté, mais ils auraient pu finir sous le métro.

Alain Le Luron, délégué Unsa-RATP et chauffeur sur la ligne 12

Depuis, le parquet de Paris a mis en place un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD), une unité de police spécialisée dans la lutte contre le trafic de drogue dans le métro. Le dispositif a porté ses fruits : en six mois, 212 personnes ont été interpellées, dont 78 vendeurs qui ont été déférés devant la justice, explique une source judiciaire.

Pourtant, avec la perspective de l’arrivée de l’hiver, conducteurs et policiers craignent un retour des toxicomanes sur le réseau. « Avec le crack, on fait face à une délinquance très mobile. L’été, les trafiquants sont en surface et, dès qu’il fait froid, ils redescendent dans le métro, explique Yvan Assioma, secrétaire régional du syndicat Alliance Police nationale à Paris. Pénalement, on a aussi beaucoup de mal à traduire les trafiquants car il faut qu’on les arrête en flagrant délit, avec le produit, avec de l’argent ou avec le client. Devant un tribunal, beaucoup se font passer pour de simples consommateurs. »

Pour cela, les dealers ont des techniques bien rodées. Les trafiquants emballent les galettes dans des petits bouts de sacs plastique qu’ils cachent dans leur bouche. En cas de contrôle, ils peuvent ainsi les avaler sans risque. « On essaye de les prendre par surprise et de les ceinturer pour qu’ils n’aient pas le temps d’avaler, mais c’est très compliqué », confie un gardien de la paix du 18e arrondissement.

Si le deal de crack a explosé, c’est en grande partie parce que le prix de la cocaïne, élément de base de la fabrication du « caillou », a considérablement baissé en France. « Le crack devient hyper rentable », explique la compagne d’un dealer. D’après elle, pour un vendeur au détail, le crack est deux fois plus intéressant que la cocaïne.

Avec ça, il peut se faire 300 ou 400 euros par jour. Donc sept jours sur sept, je te laisse faire le calcul.

La compagne d’un dealer de crack

Des dealers qui s’enrichissent et des consommateurs prêts à tout pour payer leurs doses. Abdou, 54 ans, a fini en prison après avoir agressé un autre toxicomane. « Il a voulu me dépouiller. J’ai sorti mon couteau et je me suis battu », raconte-t-il dans un français approximatif, alors qu’il fait la manche à un feu rouge de la porte de la Chapelle. Pour beaucoup de « crackers », l’incarcération fait office de désintoxication forcée. La sortie, sans accompagnement, est souvent synonyme de rechute. « Je n’avais pas de maison alors quand je suis sorti, j’ai fumé encore », explique Abdou.

Un cercle vicieux qui pousse les forces de l’ordre à « aviser sur le terrain », comme le raconte une source policière : « On est complètement dépassés… Les politiques sauteraient sans doute au plafond s’ils l’apprenaient, mais quand on interpelle un consommateur et qu’il n’a pas beaucoup de produit sur lui, on lui laisse parfois sa galette. En patrouille dans le métro, il m’est déjà arrivé de laisser un ‘cracker’ fumer son ‘caillou’ pour qu’il se calme et qu’on puisse le sortir. Notre consigne est claire : on est là pour les faire dégager, pas pour les empêcher. »

« ON NE FAIT QUE DÉPLACER LE PROBLÈME »

Vingt heures, retour sur la place Stalingrad. Nous recroisons Nadia, ainsi que d’autres toxicomanes rencontrés plus tôt à porte de la Chapelle. Beaucoup de « crackers » passent leurs journées à naviguer entre les 10e, 18e et 19e arrondissements. Un triangle du crack où l’affluence varie au rythme des opérations de police.

« LA RATP et la police ont fait un très gros travail dans le métro, donc on retrouve tous les toxicomanes en surface, analyse Séverine Guy, adjointe au maire du 19e arrondissement chargée de la santé. Nous avons aussi constaté une dégradation rapide de la situation après le démantèlement du squat de la ‘Colline’. En somme, on ne fait que déplacer le problème. »

« La physionomie actuelle du secteur de la place Stalingrad est en partie liée au report de l’évacuation de la ‘Colline' », reconnaît de son côté la préfecture de police, tout en affirmant que « la mobilisation des services est totale » et que des « renforts conséquents » ont été déployés sur la place Stalingrad. Depuis le début du mois de juillet, 59 opérations y ont été menées. Au total, 172 interpellations y ont été effectuées, dont 59 pour trafic.

Ce déplacement continu des « crackers », Fred Bladou l’observe depuis des années. « C’est toujours le même jeu du chat et de la souris. Quand la situation est trop tendue dans le 18e, on envoie la police, du coup les dealers et les usagers vont dans le 19e. Puis les flics débarquent à nouveau et tout le monde descend dans le 10e, peste l’administrateur de Gaïa, l’une des principales associations parisiennes de prise en charge des toxicomanes. Ces politiques sécuritaires ont pour unique effet de regrouper tous les usagers sur les mêmes lieux. »

Ce qu’il faut faire aujourd’hui, au contraire, c’est désengorger ces quartiers et arrêter d’isoler les consommateurs.

Fred Bladou, administrateur de l’association Gaïa et chargé de la thématique drogues au sein de l’association Aides

Pour y parvenir, associations et élus réclament l’ouverture de quatre nouvelles salles de consommation et d’un bus adapté aux usagers de crack. A l’heure actuelle, une seule « salle de shoot » existe à Paris, dans le 10e arrondissement. Elle est accessible uniquement aux usagers de drogue par intraveineuse, mais est équipée d’un fumoir avec de puissants extracteurs de fumée pour ceux qui consomment aussi du crack.

« Le vrai problème, c’est le manque de places disponibles, explique Fred Bladou. Permettre aux usagers de consommer dans des endroits propres, c’est fondamental. Il faut recréer du lien social, leur donner les moyens de s’occuper d’eux à nouveau. Avec le crack, la seule solution, c’est l’accompagnement social sur le long terme. »

Le 25 mai, les maires des 10e, 18e et 19e arrondissements ont écrit à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour réclamer un plan de prise en charge globale des « crackers ». « A ce stade, nous n’avons pas eu de réponse », déplore Dominique Demangel, l’adjointe au maire du 18e arrondissement chargée de la lutte contre la toxicomanie. « De son côté, la maire de Paris a aussi écrit au Premier ministre. Il a pris note de l’ampleur du problème, mais n’a toujours pas proposé de dispositif pour y répondre. »

Du côté de l’exécutif, on explique que l’« annonce d’un ‘plan crack’ n’est pas prévue » mais que des « mesures concrètes » seront « mises en œuvre à court terme, en lien avec les services de la ville de Paris », selon une source gouvernementale, qui ne donne pas plus de détails.

En attendant, élus et forces de l’ordre craignent que la situation ne dégénère. D’autant que la problématique vient en alimenter une autre, celle des migrants regroupés dans les mêmes quartiers de Paris. La mairie du 18e arrondissement estime que le phénomène est « marginal », mais associatifs et migrants décrivent bien une progression du crack au sein de cette population.

« Nous croisons de plus en plus de sans-papiers pendant nos maraudes, ce n’était pas notre public habituel », assure Fred Bladou. Après la fermeture de la Boutique 18, une structure d’aide aux toxicomanes, puis le démantèlement du Centre humanitaire de la Chapelle, toxicomanes et migrants se sont retrouvés à errer sur les mêmes boulevards longeant le périphérique. « Les migrants sont terrifiés à l’idée d’être expulsés et se cachent comme les toxicos. Au bout d’un moment, il y a du compagnonnage qui se crée et, parfois, ça finit par de la consommation de produits », analyse Jean-Jacques, l’un des fondateurs du collectif local Solidarité migrants Wilson.

Voilà ce qui arrive, quand il n’y a plus d’humanité ailleurs. On sympathise avec les gens qu’on trouve, on fait la fête et, le soir venu, on commence à essayer ce qu’on vous donne. Après, ça va très vite.

Jean-Jacques, membre du collectif Solidarité migrants Wilson

L’afflux de toxicomanes aux distributions de nourriture destinées aux migrants a également provoqué des débordements. « Nous, on ne fait pas de différence quand on sert les gens, mais ils sont difficilement gérables. Certains refusaient de faire la queue et ça occasionnait des tensions avec les migrants », raconte Jean-Jacques.

En septembre, son association a fini par mettre fin aux distributions de petits déjeuners qu’elle organisait depuis près de deux ans dans le quartier. « On fait face à des gens qui disjonctent, à des femmes qui hurlent, témoigne le bénévole. Il y a deux semaines, un toxico est resté pendant cinq minutes la tête dans un de nos sacs de courses. Quand on voit ça, on a du mal à croire qu’on est à Paris. Et dire qu’on est censé être la cinquième puissance du monde… »

                                                            ***

                                                Kocila Makdeche

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