Baby-Loup : la France condamnée à l’ONU pour « discrimination envers les femmes musulmanes »
INFO OBS. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU donne raison à la salariée voilée, licenciée par la crèche. « L’Obs » s’est procuré le texte de la décision et a recueilli la réaction de Fatima Afif.
L’Etat français n’a pas encore fait connaître l’information, comme il sera tenu de le faire, mais l’affaire Baby-Loup connaît un ultime rebondissement. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, l’instance supranationale chargée de veiller au respect par les Etats membres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a force de loi dans notre pays, vient de livrer ses constatations sur un des plus importants dossiers de ces dernières années, et c’est une petite bombe : la France est reconnue coupable de violation de la liberté de manifester sa religion et discrimination envers les femmes musulmanes.
Emblématique du combat auquel se livrent depuis près de trente ans les partisans d’une nouvelle laïcité renforcée et les tenants de l’esprit de 1905, l’affaire Baby-Loup, qui opposait une crèche associative de droit privé sur la commune de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) à une salariée licenciée en 2008 pour « faute grave » en raison du port d’un foulard en contradiction avec le règlement intérieur, est devenue un cas d’école.
La spécificité de cette structure pour enfants en bas âge ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et qui visait à insérer par l’emploi des femmes des quartiers populaires avait beaucoup contribué à cristalliser les passions déjà fortes sur les questions de laïcité et d’islam. Un groupe de soutien à la crèche s’était formé autour de personnalités montées en première ligne, telles Elisabeth Badinter, Manuel Valls ou Jeannette Bougrab.
Après quatre années de procédure et une complexe bataille juridique sous le feu des médias, portant notamment sur la licéité du règlement intérieur de l’association, l’affaire avait connu son épilogue auprès de la justice française le 25 juin 2014, lorsque l’assemblée plénière de la Cour de Cassation avait validé le licenciement de Fatima Afif (qui avait le titre de directrice adjointe de la crèche). Les magistrats de la haute juridiction avaient écarté la notion d' »entreprise de conviction » avancée par la cour d’appel de Paris mais tenu compte de la taille réduite de la crèche impliquant une « relation directe » des 18 salariés avec les enfants et leurs parents. La Cour de Cassation avait ainsi déjugé l’arrêt de sa propre chambre sociale qui avait précédemment annulé le licenciement considéré discriminatoire.
Par la suite, la jurisprudence Baby-Loup avait donné lieu à plusieurs propositions législatives et conduit les parlementaires à inscrire dans le Code du Travail, par la loi du 8 août 2016, la possibilité pour les entreprises privées d’instaurer des clauses de neutralité dans leurs règlements intérieurs, limitant l’expression des convictions personnelles des salariés, sous certaines conditions : que les restrictions soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir (le contact permanent avec des jeunes enfants par exemple), le bon fonctionnement de l’entreprise ou l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux, et qu’elles soient proportionnées au but recherché.
Ayant épuisé toutes les voies de recours devant les juridictions internes, les représentants de Fatima Afif, les avocats Claire Waquet et Michel Henry, ont d’abord envisagé faire appel à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est finalement auprès du Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies qu’ils ont déposé une requête le 18 juin 2015. L’affaire oppose désormais la salariée à l’Etat français. Me Henry explique :
« Nous avons choisi de saisir le comité des droits de l’homme de l’ONU moins directement efficace mais plus constant dans ses décisions que la Cour européenne des droits de l’homme, qui a tendance à laisser une large marge d’appréciation aux Etats. »
Par une décision du 10 août 2018, les experts indépendants du Comité viennent donc, dix ans après le début de l’affaire, de donner raison à Fatima Afif, et de condamner la France pour violation des articles 18 et 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, c’est-à-dire pour atteinte à la religion et discrimination en raison de la religion et du genre.
Dans les onze pages de sa décision, que « l’Obs » a pu consulter, le Comité observe d’abord que l’Etat « n’explique pas dans quelles mesures le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche ».
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