Ce n’est pas seulement un rapport que nous vous révélons. Mais une autopsie de l’état des forces de sécurité. La commission sénatoriale résume tout, dès la première ligne : « Un profond malaise règne actuellement au sein de la police nationale. » La gendarmerie, la police municipale et les agents pénitentiaires n’échappent pas à certaines problématiques, à l’origine de trop de suicides depuis dix ans. Nous avons confronté ces difficultés à la réalité lorraine.

Le rythme de travail

L’enquête de 150 pages pointe du doigt « des horaires trop déstructurants pour l’agent et sa famille », indique François Grosdidier, sénateur de la Moselle et rapporteur de la commission. « Il y a trop d’horaires décalés, tant dans la police que chez les gendarmes. »

L’avis d’Yves Milla (délégué Unsa-Police Zone Est)  : « On pourrait changer de cycle, sauf qu’il manque les effectifs pour les appliquer ! Les collègues n’en peuvent plus et parviennent très difficilement à gérer leur vie familiale. Le peu de fois où ils posent un week-end, ils sont rappelés pour les Fêtes de la mirabelle ou le 14-Juillet. Ça ne pose de problème à personne qu’il y ait plus de 21 millions d’heures sup au sein de la police, qui ne seront ni payées ni récupérées. »

La pression opérationnelle

Les forces de l’ordre font face depuis quelques années « à une pression opérationnelle inédite », souligne le rapport. Trois facteurs : la menace terroriste qui oblige à une extrême « vigilance », « de nombreuses arrivées de migrants depuis trois ans » et « des manifestations de grande ampleur » qui se sont parfois accompagnées de débordements violents.

L’avis d’Yves Milla  : « Les collègues sont essorés. Il faut voir ce que l’on demande aux hommes de la brigade anticriminalité ou aux sections d’intervention, qui décalent régulièrement leur journée de travail. Du maintien de l’ordre, de la sécurisation d’événements. Le lendemain matin, à 6h, ils sont sur le terrain pour péter une porte. »

Une insécurité grandissante

La commission appelle ça « le syndrome de Magnanville ». Depuis l’assassinat de deux policiers à leur domicile en 2016, « il y a une rupture dans l’esprit des agents, en abolissant violemment la frontière entre le travail et la vie familiale. La violente attaque contre des policiers à Viry-Châtillon (Essonne), quatre mois après, a provoqué un autre traumatisme. »

L’avis d’un policier meurthe-et-mosellan  : « Ça fait longtemps que nous sommes devenus des cibles. Quotidienne, la violence est le plus souvent verbale. Elle est aussi physique. Dans certains secteurs, les jeunes viennent au contact. Perso, mes enfants ont interdiction de dire ma profession. Trop risqué. »

Des locaux délabrés

François Grosdidier se dit « effaré des logements dans lesquels nous faisons vivre nos gendarmes. Pas de double vitrage, des baignoires sabot des années 50… Ce sont des conditions parfois indignes. Les moyens sont insuffisants. L’État n’investit pas assez dans le régalien. » En gendarmerie, le parc de véhicules a huit ans de moyenne d’âge, sept ans en police. « Quand elles fonctionnent, ces voitures ne sont plus adaptées. »

L’avis d’un gendarme lorrain  : « J’ai connu quelques logements à la limite du dégueulasse. En Meuse, en Moselle, certains appartements de fonction sont dans un tel état qu’on ne les garde, quand c’est possible, que pour les permanences. Dans certaines communes, de nouvelles brigades sortent de terre. C’est heureux. »

L’avis d’Yves Milla  : « À Épinal, le commissariat s’effondre. Certains services travaillent dans des cabines de chantier. On a connu des problèmes à Verdun et même à Metz, avec des infiltrations d’eau. »

Kevin GRETHEN