«Un projet totalement idéologique.» Voilà comment François Hommeril, président de la CFE-CGC, évacue la réforme du droit du travail élaborée par le trio Macron-Philippe-Pénicaud. «Faire le lien entre la prétendue complexité du code du travail et le chômage, c’est un pur fantasme», assène cet ingénieur, ancien du groupe Pechiney, élu en juin 2016 à la tête de la Confédération des cadres. Petit Poucet syndical à la quatrième place nationale derrière la CFDT, la CGT et FO, la CFE-CGC semble décidée à faire entendre sa voix dans les débats. Depuis quelques semaines, la confédération multiplie les prises de position offensives qui contrastent avec l’attentisme des centrales. Parmi ses nombreuses «lignes rouges», la disparition du CHSCT, le référendum d’entreprise à l’initiative du patron ou l’extension du CDI de chantier, «imposture»synonyme «d’intermittence généralisée».

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Connu pour son franc-parler, François Hommeril s’était déjà illustré par ses déclarations au vitriol contre la loi El Khomri. «Nous n’avons pas vocation à être un toutou qui salue toutes les réformes», déclarait-il à la presse au plus fort de la fronde. A priori, la CFE-CGC n’est pourtant pas réputée pour son insolence. Elle a longtemps cultivé la ligne d’un syndicalisme conciliant, axé sur la défense du statut cadre. Mais ses récentes postures n’étonnent pas Elodie Béthoux, maîtresse de conférences à l’Ecole normale supérieure de Cachan et auteure de Sociologie d’un syndicalisme catégoriel : la CFE-CGC ou la fin d’une exception ? (Armand Colin, 2013). «Certes, elle se revendique d’un syndicalisme réformiste qui défend à la fois les intérêts des salariés et des entreprises, mais elle a toujours pris part à des grands moments de mobilisation. Son positionnement se cherche encore.»

Même s’il n’a jamais cru à la pertinence d’une énième refonte du code du travail, François Hommeril assure avoir joué le jeu de la concertation, refusant de crier au loup trop tôt. «On a commencé les débats avec beaucoup de confiance dans le dispositif», insiste le syndicaliste. Des fuites dans la presse (dont un document de la Direction générale du travail publié par Libération) laissant entrevoir une réforme plus radicale qu’annoncé ont semé le trouble. La publication du projet de loi d’habilitation n’a fait que confirmer le malaise. «On a vu ressortir des choses sans rapport avec le sujet, comme le CDI de chantier ou le périmètre national du licenciement économique, détaille Hommeril. Depuis, on ne comprend plus rien et on commence à douter des intentions réelles du gouvernement.»

Pétition 

La concertation début juillet autour de la fusion des instances du personnel, deuxième bloc de la réforme, a achevé de tendre les débats. Comme tous les syndicats, la CFE-CGC est vent debout contre leur regroupement systématique dans une structure unique qui verrait disparaître le CHSCT, en charge de la santé et de la sécurité au travail. «C’est un scandale total parce que ça n’a rien à voir avec l’emploi,fulmine Hommeril. Le gouvernement nous balade. Il a récupéré les vieux fonds de tiroirs dont les partenaires sociaux n’ont pas voulu dans les lois précédentes et nous les ressert.» La CFE-CGC voit dans le projet «une attaque en règle contre les syndicats» et en fait «une ligne rouge absolue». Au point de lancer, mercredi 5 juillet, la pétition «Non à la disparition du CHSCT !» cosignée par des représentants de fédérations CGT, FO et CFTC. Plus largement, c’est le «déséquilibre du projet» qui inquiète le syndicat des cadres. Devant la commission des affaires sociales, son secrétaire national, Gilles Lecuelle, a énuméré ses multiples «dangers» pour les salariés. Et demandé solennellement aux députés de renoncer à assouplir le recours au CDD et au CDI de chantier. «Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter de la précarité pour créer de l’emploi et ces éléments créent de la précarité très forte pour les salariés», a-t-il plaidé sans succès.

Dans l’Humanité, François Hommeril exhortait mercredi les syndicats à se réunir «officiellement» pour exprimer leurs «désaccords communs avec le gouvernement».Et n’excluait pas de répondre à l’invitation de la CGT à participer à une journée de manifestation et de grève le 12 septembre. Mais avant de passer des paroles aux actes, la CFE-CGC attend d’être fixée sur le contenu des ordonnances. Coincée, elle aussi, par une concertation dans laquelle elle place de moins en moins d’espoir. «On va recevoir un premier objet fin août, on va mettre nos juristes sur l’affaire et on reviendra à la charge après», détaille Hommeril. La fenêtre de tir s’annonce serrée : l’exécutif est décidé à faire adopter ses ordonnances avant la fin de l’été.

Alexia Eychenne