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LIBRE OPINION du général (2s) Pierre ZAMMIT : Bercy fossoyeur de la future loi de programmation militaire.

Posted On 21 Déc 2017
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Le document joint reprend les éléments de deux articles parus tout récemment et repris ci-dessous  sur le site de l’ASAF.

– le premier intitulé « Une nouvelle épée de Damoclès plane sur le budget des Armées et les ambitions stratégiques de la France » a été publié dans Opex 360 (blog de Laurent Lagneau, journaliste grand reporter à France télévision /France 3 depuis quinze ans) ;
– le deuxième intitulé « Bercy va-t-il être le fossoyeur de la loi de programmation militaire ? » a été publié dans le journal La Tribune, sous la plume de Michel Cabirol.

Les deux traitent du même sujet : l’article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018-2022, examiné et voté par les députés le 15 décembre au soir sur proposition du gouvernement. En quelques mots, de quoi s’agit-il ?

 

 

 

  1. Les faits

 

  • Qu’est-ce que l’article 14 qui vient d’être voté ?

L’article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques gèle le reste à payer pour les années à venir au montant de celui de 2017, soit environ 100 milliards pour l’Etat, dont 50 milliards pour le ministère des armées dont 35 milliards pour le seul programme 146 (équipement des forces).

 

  • Quelle conséquence directe s’il est appliqué stricto sensu ?

Ceci revient à ne pas donner une suite concrète (déblocage des crédits de paiement) aux autorisations d’engagement de dépenses votés dans la loi de programmation militaire pluriannuelle. La modernisation des équipements militaires au cœur de la prochaine loi de programmation militaire (2019-2024) risque donc effectivement d’être sérieusement mise à mal.

En effet, les équipements militaires qui nécessitent des investissements lourds courant sur plusieurs années obéissent à une logique pluriannuelle incompatible avec le couperet du gel du fait des aléas inévitables. Ceci signifie que la prochaine loi de programmation militaire qui va couvrir la période 2019-2024 sera pour ainsi dire vidée de sa substance, car inapplicable sans l’aval de Bercy qui, chaque année, effectue la mise en place des crédits de paiement pour honorer les autorisions d’engagement de dépenses prévues dans la loi de programmation militaire votée.

 

  • Comment s’est déroulée l’opération menée par Bercy et le ministre de l’action et des comptes publics ?

La dangerosité de l’article 14 déposé par le gouvernement a été rapidement relevée en premier par le député Cornut-Gentile (LR) qui avait interpelé Mame Parly, ministre des Armées. A son tour, le président de la commission de la défense, M. Jean-Jacques Bridey (LREM) a fait clairement remarquer que le mécanisme imaginé par Bercy pour limiter les restes à payer « fait peser plusieurs risques sur la prochaine loi de programmation militaire ». La ministre des armées, madame Florence Parly, a alors elle-même reconnu que « s’il devait être appliqué de manière unilatérale au seul ministère des Armées, ce serait évidemment un frein majeur à la modernisation des équipements ». Le Sénat a modifié l’article 14 en déposant l’amendement n°45 qui excluait le ministère des armées du gel. De retour à l’Assemblée nationale, cet amendement 45 a été rejeté par la majorité parlementaire présidentielle. Comme le prévoit la constitution, ce sont en effet les députés qui ont toujours le dernier mot.

 

2. Les questions qui se posent

 

  • Concernant madame Parly, ministre des armées qui a déclaré que « s’il devait être appliqué de manière unilatérale au seul ministère des Armées, ce serait évidemment un frein majeur à la modernisation des équipements », reconnaitrait-elle en creux qu’elle ne s’y opposerait pas ? La messe serait-t-elle dite d’avance par l’exécutif ? Si arbitrage du Président il doit y avoir à chaque fois par la suite, pourquoi cet arbitrage n’a-t-il pas porté par anticipation sur ce fameux article 14 ?
  • Comment l’article 14 a-t-il pu être voté dans son intégralité (suite au rejet de l’amendement n° 45 déposé par le Sénat) par la majorité présidentielle alors même que le Président de la République rappelle que la France est en guerre et plus largement la dangerosité croissante du monde et le retour des Etats puissance ? Quelle information ont eu les députés sur la portée de leur vote ? Connaissaient-ils cette portée ? La défense de la France n’est-elle pas le premier devoir de l’Etat ? Comment ont fonctionné les rouages entre l’exécutif et le Parlement (ministre chargé des relations entre l’exécutif et le Parlement ; président du groupe parlementaire majoritaire) ?

 

3. Que conclure ?

La même chose qu’expriment les titres des articles cités : une nouvelle épée de Damoclès plane sur le budget des armées et les ambitions stratégiques de la France, ou dit autrement, Bercy s’est donné les moyens d’être le fossoyeur de la future loi de programmation militaire. On cherche la cohérence entre les ambitions de défense affichées et des moyens qui risquent fort de ne pas être au rendez-vous. Sans compter qu’une politique étrangère sans bras armé crédible est inopérante.

En fin de compte, c’est une façon de pérenniser par la loi l’idée-même de gel qui, à l’issue des arbitrages budgétaires de 2017 et de la construction du projet de loi de de finances 2018, a fait écrire au général d’armée de Villiers « ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel il croyait pour garantir la protection de la France et des Français aujourd’hui et demain[1]».

 

Général (2s) Pierre ZAMMIT

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