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Drogue : ces ados piégés par l’argent facile

Posted On 14 Jan 2018
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En manque de main-d’œuvre dans les cités toulousaines, les trafiquants de drogue enrôlent de jeunes adolescents attirés par l’argent facile. C’est le début d’un engrenage infernal.

Hakim a 17 ans (1). Un copain de la cité La Gloire, à Toulouse, connue pour son trafic d’héroïne, lui propose de se faire de l’argent. Les promesses de gain donnent le vertige. On lui parle de 7000€ pour le mois. Lycéen, Hakim accepte. Après quelques consignes, l’apprenti dealer prend ses repaires au pied d’un immeuble, cité des Izards. Mais le manque d’expérience lui est fatal. Très vite repéré par les policiers, il est interpellé par la brigade anticriminalité avec la marchandise sur lui. Garde à vue, déferrement devant la justice et condamnation en vue. En plus de ses ennuis judiciaires, il doit des comptes à ses «lieutenants» pour rembourser la marchandise perdue. Pour Hakim, c’est la double peine assurée et le début d’un terrible engrenage. «Un grand nombre de mineurs sont impliqués dans des faits d’offre ou de cession de produits stupéfiants, type cocaïne ou cannabis», reconnaît le parquet de Toulouse qui ne dispose pas de chiffres précis. Principale motivation de ces jeunes : l’appât du gain. La réponse pénale se veut immédiate. «Avant le jugement, on tente de mettre en place des mesures éducatives en liberté surveillée», confie un magistrat. Dernièrement, deux adolescents de 14 ans, fraîchement recrutés à la sortie de leur établissement et «menacés», selon eux, au nord-est de Toulouse, sont «tombés» en possession de plusieurs grammes de cocaïne, de cannabis et de centaines d’euros. Les multiples opérations de police au Mirail (Bellefontaine et Reynerie) et aux Izards ont terriblement asséché le réservoir des trafiquants de drogue contraints de recruter des petites mains inexpérimentées pour poursuivre leur business illicite. Mineurs étrangers isolés, sans papiers, collégiens fragiles, se voient proposés jusqu’à 200€ par jour pour vendre toutes sortes de drogue. «Mais bien souvent les promesses de gain ne sont pas tenues et ces novices se font prendre rapidement, parfois en proposant sans le savoir du cannabis à des policiers en civil, précise une source policière. Et quand ils ont fait le boulot, ils ont peur de réclamer leur dû face à des recruteurs armés». Pour les contraindre à dealer, certains trafiquants qui gèrent le business comme de véritables chefs d’entreprise n’hésitent pas à leur faire toucher des armes à feu ou des ballots de cannabis en se servant de leur empreinte comme moyen de chantage s’ils refusent. Aux Izards, les trafiquants vont même jusqu’à proposer de l’argent à des familles pour qu’elles maintiennent la porte de leur appartement ouverte afin de s’y réfugier en cas de descente policière. Des enfants de 10 ans sont alpagués par les dealers qui leur donnent 10 à 20€ pour leur acheter des sandwichs. «Ils essaient de les impressionner très tôt en leur montrant des liasses de billets», raconte un habitant. Fascinés par l’argent facile, certains se présentent spontanément sur les lieux de deal des cités. C’est le cas d’un adolescent de 14 ans venu de Cannes, en vacances à Toulouse. Il voulait s’acheter une moto. L’apprenti est accueilli rue Amilhau, quartier de la Faourettte, par un homme en cagoule qui lui remet un sac contenant de la drogue. L’adolescent est finalement interpellé avec 70 gr. d’herbe, 130 gr. de résine et des espèces dont de l’argent de poche que sa mère lui avait confié.

(1) Prénom d’emprunt.


L’annonce surréaliste

À Varèse, quartier Reynerie, à Toulouse, l’un des plus gros points de vente de drogue, les dealers passent des annonces pour recruter des vendeurs via la plateforme de partage Snapchat, sur internet. L’annonce ne mentionne pas le montant des rémunérations mais insiste sur les qualités requises : «vif d’esprit et de physique…» Le marketing et les nouvelles technologies font désormais partie des techniques de vente de ces commerciaux du cannabis qui à travers les réseaux sociaux et ce type d’application s’adressent surtout aux adolescents et aux étudiants. Sur d’autres annonces, la livraison à domicile de la drogue est également proposée à partir de 120€ d’achats de produit en tout genre.


«On a peur pour nos enfants»

«Les plus grands appâtent les petits avec l’argent, ils leur disent tu pourras t’acheter des baskets Air Max… Beaucoup de mères ont peur pour leurs enfants. Notre famille a déjà été menacée», témoigne cette habitante, rue des Chamois, quartier des Izards, haut lieu du trafic de drogue à Toulouse. «Si les enfants sont influençables ou s’ils ont peur, ils peuvent très vite tomber sous la coupe des dealers». Des trafiquants qui usent de tous les moyens de pression pour s’approprier halls d’immeuble et parfois des appartements, place des Faons ou rue des Chamois. «On les voit compter leurs billets devant le hall d’entrée, poursuit cet autre habitant. Ils le font à la vue de tout le monde. Certains d’entre eux abordent les enfants et leur donnent un peu d’argent pour ramener de quoi manger. C’est comme cela qu’ils commencent par impressionner les plus petits». Dans les immeubles de la place des Faons, c’est une autre stratégie qui se joue. Celle de l’appropriation des appartements pour contrer l’arrivée des policiers qui ont multiplié leurs opérations dans ce secteur.

«Des armes circulent»

«Les dealers peuvent proposer jusqu’à 2000€ à des locataires pour qu’ils laissent leur porte ouverte ou que leur appartement serve de lieu de stockage». Des individus encagoulés frappent violemment aux portes et tentent de terroriser les plus fragiles. De nombreuses familles subissent la loi des trafiquants et s’estiment en danger. «Il faut que l’on arrive à sortir nos enfants de ces pièges. Il y a des armes qui circulent, les coups de feu se font entendre. C’était encore le cas, il y a quelques semaines, lorsque je rentrais de l’école avec mon fils», poursuit une habitante.

Des riverains qui espèrent aussi que les nouveaux travaux de sécurisation prévus par le bailleur social, Toulouse Métropole Habitat, mi-janvier, permettront d’améliorer leur quotidien. «L’objectif est de faire en sorte que les halls d’immeuble ne soient plus tenus par les dealers», avait insisté, dernièrement, le directeur général adjoint de Toulouse Métropole Habitat, Daniel Ferrè.


Interview Guillaume Sudérie, Directeur-adjoint de l’Observatoire régional de la santé (ORSMIP-Trend)

Guillaume Sudérie: «Le trafic, très organisé, fourni plusieurs métiers»

Dans une étude de l’Observatoire régional de santé de décembre 2017, on s’aperçoit que le trafic de stupéfiants créé un «véritable marché de l’emploi» dans la cité ?

On l’observe dans le quartier du Grand Mirail en particulier où l’on voit des gens qui sont connus de nulle part qui font les petits métiers, parce qu’ils sont recrutés ailleurs que dans le quartier. Dans d’autres quartiers par exemple. Ils peuvent être payés 50 euros la journée ou 150 euros la semaine, ces chiffres datent d’il y a un an. Il y a différents métiers dans ce trafic. Les métiers les moins valorisés sont ceux qui sont pris par de jeunes migrants, des sans-papiers recrutés soit à Arnaud-Bernard, soit à la gare Matabiau. Dans le trafic, c’est très pyramidal, c’est le capitalisme absolu. Il y a une légende urbaine qui dit que le trafic dans les quartiers populaires rend riches les habitants du quartier. Certes, c’est une économie non négligeable dans la vie du quartier, mais la plupart des bénéfices de ce trafic partent dans les caisses de la Mafia. Il y a des gens qui pilotent, qui exécutent, des guetteurs, des nourrices, différents types de métiers. Plus on est ancien, plus on est rémunéré pour faire ce travail. Mais encore une fois, ça ne rend pas les gens riches.

Les emplois créés par le trafic ne sont pas lucratifs ?

Le Mirail, c’est un quartier avec une grande misère économique sociale. C’est aussi pour cela que les trafics s’y installent. Il y a finalement un tel abandon de la vie de ces quartiers – même si l’on ne peut pas dire que rien n’est fait en matière de politique de la ville dans les quartiers prioritaires –, que les organisations criminelles s’y inscrivent en toute facilité. Finalement, elles ont une fonction sociale : donner 50 euros à un jeune dont la maman gagne le RSA, soit 490 euros par mois, ça génère tout à coup un statut différent pour ce gamin dans cette famille. Mais ça ne rend pas la famille riche. Ça lui permet juste de survivre.

Pensez-vous que beaucoup de jeunes sont attirés dans cette nébuleuse ?

Il y a environ 30 000 habitants dans le quartier du Grand Mirail, je pense qu’il y a 200 personnes concernées activement par la question du trafic (en comptant ceux qui tiennent le trafic). En fait, on a un effet loupe sur ce trafic, mais on ne parle jamais de tout ce qui marche bien par ailleurs dans ce quartier. Et c’est catastrophique pour l’image du quartier.Pour dire les choses comme je les pense, on a des parents qui tiennent plutôt bien leurs gosses, mais certains ont des difficultés et c’est une minorité. Mais il y a désormais, et c’est net depuis cinq ans, un trafic criminel organisé.

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