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Dino Scala, le violeur de l’aube

Le lieu de sa dernière agression: A Erquelinnes, à la frontière franco-belge, le 5 février 2018, à 6 h 55. Il travaillait à l‘usine Jeumont Electric à moins de 200 mètres. En médaillon, Dino Scala, entraîneur de l’US Berlaimont dans les années 2000, entre un dirigeant et un jeune joueur.
Le lieu de sa dernière agression: A Erquelinnes, à la frontière franco-belge, le 5 février 2018, à 6 h 55. Il travaillait à l‘usine Jeumont Electric à moins de 200 mètres. En médaillon, Dino Scala, entraîneur de l’US Berlaimont dans les années 2000, entre un dirigeant et un jeune joueur.Pascal Rostain / Paris Match; AFP

Bon père, bon époux, copain dévoué. Inconnu des services de police. Employé modèle, Dino Scala commettait ses crimes près de chez lui, à Pont-sur-Sambre (Nord), dans un rayon de 15 kilomètres avant d’aller au travail. Le prédateur insoupçonnable a échappé pendant trente ans aux six policiers qui continuaient leur méticuleux « travail de veille ».

Les yeux rougis par les larmes, Mathilde*, 15 ans, sort d’un bureau entourée de policiers belges. Dans ses mains, deux feuilles blanches tapées à l’ordinateur, le récit de son cauchemar. Enfin, elle croise un visage familier, celui de Stéphane*, son père, qui l’attend pour la serrer dans ses bras. En son for intérieur, il enrage. Comme s’il était coupable de ne pas l’avoir protégée. Il ne lui pose aucune question. « J’ai pris le document qu’elle avait signé, et puis j’ai lu. »

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Dans la brume hivernale, Mathilde a quitté la maison familiale de Jeumont, dans le Nord, le 5 février, peu avant 7 heures du matin. Comme toujours, elle a pris le chemin du lycée. Vingt minutes à pied jusqu’au bus. « Pour aller un peu plus vite, j’ai pris un raccourci », déclare la jeune fille. Son pas est pressé, la musique dans ses écouteurs lui donne le rythme. Elle atteint la ligne de chemin de fer, encore dans l’obscurité. C’est alors qu’elle aperçoit une ombre s’approcher. Elle n’a pas le temps de se retourner, ses longs cheveux bruns sont agrippés par une main puissante. « Si tu parles ou si tu hurles, je te tue », lui assène la voix. Elle est bousculée, poussée dans les buissons. « Je ne veux pas te faire de mal, j’en ai juste besoin. Je veux te toucher », lance son agresseur. Elle sent une odeur d’alcool se dégager de son haleine. L’adolescente crie, se débat. Mais le coin est désert. Personne pour lui venir en aide. L’inconnu sort un couteau, le pose sur son cou. Il passe sa main recouverte d’une mitaine sous ses vêtements puis sous son soutien-gorge. Cela dure une dizaine de minutes. Elle lui demande de partir, dit qu’elle va rater son bus… et il la laisse s’échapper. Elle court sans se retourner. Elle n’a pas vu son visage.

L’individu recherché n’a pas de casier, trois portraits-robots sont élaborés mais l’enquête piétine

Dans la commune frontalière d’Erquelinnes – où a eu lieu l’agression –, avec ses friteries, ses tabacs aux néons rouges, on ne parle bientôt que de « ça ». « Le violeur matinal » est de retour. David Lavaux, bourgmestre depuis 1995, connaît bien l’histoire. De 2004 à 2008, la ville a connu sept agressions de femmes, dont certaines étaient mineures. « Avec toujours le même mode opératoire : en hiver, dans la pénombre matinale. L’homme ne les attaque jamais de face. Si bien que les victimes ne peuvent pas l’identifier. » Seule indication : sa voix. Une femme pourtant, agressée chez elle, a pu aider à l’élaboration d’un portrait-robot. Puis, à partir de 2008, plus rien. Plus besoin de s’épier, l’homme a dû déménager… La ville est en sursis.

Côté français, une enquête a été ouverte en 1988. Le dossier est baptisé d’un sordide « Violeur de la Sambre », en référence à l’affluent de la Meuse : l’homme attaque des jeunes filles, des femmes, dans un rayon de 15 kilomètres autour de Maubeuge, aux abords de leur lieu de travail, ou chez elles, quand elles sont seules. Il les tripote. Pour certaines, il va jusqu’au viol. De l’ADN a été prélevé ; mais, dans les années 1990, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes n’existe pas encore. Après sa création, en 2004, il n’apportera pas plus de réponses : l’individu recherché n’a pas de casier. Trois portraits-robots sont élaborés en France et en Belgique, mais l’enquête piétine.

Le dossier « Violeur de la Sambre » est un « cold case », du nom d’une série bien connue

Annick Mattighello, maire de la commune de Louvroil de 2001 à février dernier, se souvient. Janvier 2002, déjà deux agressions de femmes au petit matin. Quinze jours plus tard, c’est la psychose. Michèle, 44 ans, agent municipal chargée du ménage, ajoute son nom à celui des victimes. Un homme s’est engouffré derrière elle dans la salle de sport dont elle assure l’entretien. Peu avant 7 heures, comme à son habitude. Elle a tenté d’allumer la lumière, mais une main l’a retenue. On lui tire les cheveux. Un bras lui entoure la taille, lui coupe la respiration. Seize ans après, elle s’en souvient comme si c’était hier : « Il a dégrafé mon chemisier et m’a porté le couteau à la gorge. »

Toujours les mêmes gestes. L’arrivée d’une collègue va provoquer la fuite de l’assaillant, qui trouve facilement la porte de sortie.
Mme la maire organise une conférence de presse et met en place une cellule de crise avec la police municipale. Une action qui n’est pas du goût des enquêteurs. « Parler du mode opératoire pourrait entraver l’enquête », lui répète-t-on. Mais à Louvroil, au moins, le violeur de la Sambre ne fait plus parler de lui. Michèle, l’agent municipal, a néanmoins conservé précieusement les papiers des auditions dans le buffet de sa salle à manger. En 2009, elle est à nouveau convoquée par la police judiciaire, à Lille cette fois. Un policier la rassure : « On le retrouvera, il y aura bien une faille. » Une cellule d’enquête est toujours au travail. Le dossier « Violeur de la Sambre » est un « cold case », du nom d’une série bien connue. Des policiers y consacrent une partie de leur carrière. Un travail qui rappelle celui des disparues de Perpignan : dix-sept ans pour arrêter le tueur, Jacques Rançon.

Ancien joueur de foot, Dino Scala connaît une petite notoriété en tant qu’entraîneur puis président de clubs

Mathilde a repris sa vie d’adolescente, mais s’inquiète quand elle entend des pas dans son dos. Stéphane, son père, suit l’enquête. « Il y a peu de temps, la police m’a dit qu’ils avaient une piste. » Une piste sérieuse. Depuis peu, la commune d’Erquelinnes s’est équipée de vidéosurveillance. Une voiture dotée d’une plaque française a retenu l’attention. Le cliché passe par la coopération franco-belge de Tournai, puis arrive sur le bureau de la PJ de Lille. Sort alors le nom d’un homme, Dino Scala, 56 ans. Un M. Tout-le-Monde qui vit à Pont-sur-Sambre, près de Maubeuge. Ouvrier dans la maintenance pour Jeumont Electric, il travaille de bonne heure et habite dans la région depuis longtemps. La plaque correspond. Après une surveillance de quelques jours, un enquêteur, qui connaît le dossier depuis dix ans, se présente au bureau du commissaire divisionnaire Romuald Muller, de la police judiciaire de Lille. Il est affirmatif : « Tout correspond. Je suis certain que c’est lui. »
C’est à l’aube, l’heure qu’il aimait tant, que, le lundi 26 février, les policiers interpellent Scala. Son ADN coïncide avec celui du violeur de la Sambre. Il avoue et il parle d’une quarantaine d’agressions, qu’il décrit comme des « pulsions ».

A Pont-sur-Sambre, on tombe de haut. Cinq enfants, grand-père depuis peu, Dino Scala est une figure locale. Dans son quartier, où toutes les maisons en brique rouge se ressemblent, les gens le connaissent depuis toujours. Ancien joueur de foot au poste de défenseur, il connaît une petite notoriété en tant qu’entraîneur puis président de clubs. Avec Sandrine, sa femme, il a repris celui de Pont-sur-Sambre, à la fin des années 2000. « Leurs week-ends étaient consacrés au club : le samedi, les juniors ; le dimanche, les seniors », raconte le maire, Michel Detrait. « Souvent, Dino organisait les troisièmes mi-temps et invitait du monde chez lui. En plus, il avait les abonnements pour les matchs importants », raconte Yves, un de ses proches.

Dino Scala sait que ce n’est pas plus mal d’être arrêté dit son avocat. Il est prêt à répondre

La veille de son arrestation, Dino Scala assistait à un match de son ancien club de Berlaimont. Il faisait froid. Il a retiré ses gants, enlevé son cache-nez pour saluer ses anciens élèves. Il a discuté de longues minutes sans se douter qu’il était déjà démasqué. « S’il n’avait pas avoué, on n’y croirait pas ! » lance Willy Lebrun, son successeur à la tête du club de foot. Sur le bord du terrain, on parle déjà de Dino Scala au passé, comme si celui qu’on avait connu était mort. Comme si l’on voulait qu’il soit mort. « On a le sentiment d’avoir été trompés, conclut Michel Detrait. Et on n’ose pas se mettre à la place de Sandrine et de ses enfants. »

Lors de la garde à vue, Me Jean-Benoît Moreau a assisté Scala. « Il ne m’a pas demandé combien de temps il allait rester en prison, il n’est pas dans cette logique-là. Il sait que ce n’est pas plus mal d’être arrêté. Il est prêt à répondre. » Les victimes sont également prêtes à entendre ce qu’il a à dire. Aujourd’hui, elles se pressent à la PJ. Est-ce que d’autres vont oser venir raconter ce qu’elles ont vécu ? Michèle, quant à elle, s’interroge : « Je ne sais pas si c’est lui, mais ça y ressemble, non ? ».

A l’annonce de l’arrestation, Mathilde a fondu en larmes. « C’est un soulagement, mais la tristesse sera toujours là. Ça ne changera pas, ça. » Quand son père réalise qu’il connaissait l’agresseur de sa fille : « Je jouais au foot dans le club dont il était le président. En plus, il travaillait à 300 mètres de chez nous. J’ai dû le croiser des centaines de fois. » Comment savoir ce qui se passe dans la tête de M. Tout-le-Monde ?

Enquête Sinead Shannon Roche 

* Les prénoms ont été changés.

Source:: Dino Scala, le violeur de l’aube

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