La trêve estivale gagne le ministère du Travail. Après six semaines de rendez-vous hebdomadaires avec les partenaires sociaux, la concertation autour de la réforme du droit du travail orchestrée par le cabinet de Muriel Pénicaud touche à sa fin. La CFE-CGC devrait être, mardi, le dernier interlocuteur reçu rue de Grenelle pour une ultime séance d’abord prévue jeudi. Muriel Pénicaud présentera le même jour une synthèse des discussions à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le Parlement examine en effet en parallèle le projet de loi qui permettra au gouvernement de chambouler par ordonnances le code du travail. Le texte doit être voté jeudi au Sénat, ouvrant la voie à une publication des ordonnances en septembre.

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Ces dernières semaines, trois grands «blocs» de réforme ont été brossés à gros traits devant les syndicats de salariés (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) et les organisations de patrons (Medef, CPME et U2P) : une nouvelle articulation entre les accords de branche et ceux signés dans les entreprises, une fusion des instances de représentation du personnel assortie de nouvelles règles de négociation des accords et, in fine, la «sécurisation des relations de travail». Ce dernier «round» sur le point de s’achever vise en fait surtout à faciliter les licenciements. D’où sa haute teneur en sujets qui fâchent. Au menu, plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, extension du CDI de chantier ou encore refonte du périmètre géographique des PSE, pour faciliter les licenciements des multinationales qui font des profits hors de France.

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«Assouplissement tous azimuts»

Comme le barème des dommages et intérêts, ce dernier point figurait dans une première version de la loi El Khomri, avant que le gouvernement Valls ne fasse machine arrière face au tollé syndical. Emmanuel Macron s’est bien gardé d’y faire mention pendant la campagne. Les syndicats avaient appris début juin par des fuites dans la presse – dont un document de la Direction générale du travail révélé par Libération – que le gouvernement voulait remettre le couvert. Tout comme alléger les contraintes de reclassement des salariés licenciés ou réduire les délais pour saisir les prud’hommes. Quant à l’élargissement du CDI de chantier, bientôt rebaptisé «CDI d’opération» selon la CGT, Edouard Philippe l’avait suggéré fin juin sur RMC, sans en réserver la primeur aux syndicats qui avaient pourtant commencé les concertations.

Résultat, les confédérations ont doucement commencé à hausser le ton. «On va vers un assouplissement tous azimuts du contrat de travail», s’agace Fabrice Angéi, membre de la délégation CGT. Même la CFDT, jusque-là conciliante, s’inquiète. «Beaucoup de sujets ont un fort potentiel de dérégulation», juge Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe. Les dernières réunions ont soulevé plus de questions qu’elles n’ont apporté de réponses. En matière de limitation des indemnités prud’homales, Pénicaud envisagerait un plafond d’un mois de salaire par année d’ancienneté, dans la limite de vingt mois de rémunération. De quoi faire tousser jusqu’à la très indulgente CFTC. «La loi prévoit aujourd’hui qu’un salarié avec deux ans d’ancienneté, dans une entreprise d’au moins dix salariés, a droit à un minimum de six mois de salaire en réparation du préjudice, rappelle son président, Philippe Louis. Nous ne sommes pas contre le principe d’un plafond pour éviter les abus, mais il n’est pas question de baisser les droits actuels.» Pour rallier à sa cause FO et la CFDT qui, en 2016, avaient fait du plafonnement un «casus belli», le gouvernement a promis des montants planchers. De quelle hauteur ? Mystère. Lors de l’examen du projet de loi d’habilitation à l’Assemblée, Muriel Pénicaud a par ailleurs assuré qu’elle rehausserait les indemnités légales de licenciement, aujourd’hui fixée à un cinquième de mois de salaire. Mais là encore, les syndicats n’ont pas de réponse sur son ampleur. La CFDT réclame au moins leur doublement.

«Fourre-tout»

Dans la même ligne que la «barémisation» des indemnités, le gouvernement souhaite réduire les délais laissés aux salariés pour saisir le juge, aujourd’hui de douze mois. «Les ruptures conventionnelles seraient aussi encouragées via des incitations fiscales et sociales pour les salariés comme pour les employeurs», relève Fabrice Angéi, de la CGT, qui cite également, entre autres motifs d’inquiétude, une «adaptation» rendant possible de travailler après 21 heures sans relever du travail de nuit. Le côté «fourre-tout» du dernier bloc de mesures préoccupe les syndicats. «Des questions se sont invitées en cours de route, comme le relèvement du déclenchement du seuil des PSE [aujourd’hui de dix salariés sur une période de trente jours, ndlr] ou la facilitation des négociations de plans de départs volontaires qui aboutirait à rendre plus aisées les suppressions d’effectif sans les obligations d’un PSE», regrette Véronique Descacq. Les vacances seront donc courtes pour les organisations syndicales. Toutes ont rendez-vous au ministère du Travail la semaine du 21 août pour la présentation des mesures concrètes qui figureront dans les ordonnances, dont le texte leur sera transmis à partir du 28 août. Ce sera l’heure de vérité. Hormis la CGT qui a déjà pris date pour une journée de manifestation le 12 septembre, les autres centrales décideront à ce moment-là de sonner ou non la mobilisation.

Alexia Eychenne