ENQUÊTE. « Une denrée rare » : les communes dans la surenchère pour attirer des policiers municipaux
Le recrutement de policiers municipaux vire au quasi-bras de fer entre les communes de la région, dans un contexte de pénurie nationale. À Angers, ces futurs agents apprennent les rudiments du métier pendant que les villes, elles, sortent l’artillerie lourde pour les attirer.
Publié le 12/07/2025 à 15h27
Sur les tatamis du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) d’Angers (Maine-et-Loire), des ordres déchirent le silence. Le claquement des tonfas résonne fort. Les gestes sont répétés. Pour la première fois, les élèves policiers municipaux manipulent ce bâton métallique emblématique de leur futur métier. Cette année, ils seront 360 petits nouveaux à passer dans ces locaux, pour une durée de six à huit mois. Les chiffres sont en constante augmentation, depuis 2022. Mais ce n’est pas encore assez pour répondre aux 11 000 postes vacants sur le territoire national.
Au programme : droit, intervention, mise en situation, stages sur le terrain auprès de la police nationale, de la gendarmerie et d’associations, de futurs interlocuteurs. Une formation dense, qui s’est professionnalisée, passage obligé pour intégrer une spécialité en pleine transformation.
« C’est un métier qui demande de plus en plus de technicité et de savoir-faire. Nos stagiaires doivent être prêts à répondre à différentes missions, sur un terrain souvent complexe », éclaire Sébastien Guittet, directeur adjoint à la formation Sécurité publique et civile du CNFPT d’Angers qui accueille des candidats du Grand Ouest. Les profils de cette nouvelle promotion sont variés. Il y a Julie (1), ancien architecte d’intérieur, qui a voulu changer de vie, à 30 ans. Il y a Éric, prof d’EPS, qui s’est mis en disponibilité de l’Éducation nationale pour voir jusqu’où il peut aller. D’autres sont d’anciens policiers ou militaires, représentatifs de cette nouvelle génération de policiers municipaux : diplômés, en reconversion, motivés par le terrain et l’action, et bien conscients des enjeux dans « un marché en tension », note Rodolphe Amailland (Nouvelle Energie, droite), le maire de Vertou (Loire-Atlantique) et président de l’Association des maires de France pour la Loire-Atlantique.
« Ça peut nous pousser à devenir des mercenaires »
« Le policier municipal est une denrée rare, appuie Frédéric Biedak, président du Syndicat national des policiers municipaux. Les communes sont en concurrence. » La situation ne le ravit pas. « Les villes qui ont les moyens, paient. Et les autres en pâtissent… Les policiers se vendent au plus offrant. Ça peut nous pousser à devenir des mercenaires, alors qu’un policier municipal, c’est quelqu’un qui doit connaître son terrain, sa population. Et ça s’acquiert seulement avec le temps. Je ne crois pas qu’un mercato des policiers municipaux soit très positif », complète le responsable syndical.
« Depuis dix ans, c’est le métier qui a le plus progressé dans toutes les communes, au niveau de la création de postes, précise Rodolphe Amailland. C’est dire les besoins de sécurité. » Au Mans, ils veulent gonfler les effectifs à 40. À Nantes, « nous allons monter à 235 d’ici la fin du mandat », rappelle Aicha Bassal, adjointe en charge du personnel.
Dans ce contexte, chaque collectivité tente de tirer son épingle du jeu. Longtemps en difficulté, Nantes a changé de stratégie en créant un concours propre et en mettant en place une communication offensive. Le recrutement promis par la maire, Johanna Rolland (PS), au cours d’une année 2022 marquée par de nombreux faits divers sanglants dans la capitale régionale, a pu être mené : 210 policiers sont désormais en poste. « Après le succès du premier, nous avons lancé un deuxième concours avec, là encore, 300 candidats. »
« Un système de surenchère »
Nantes fait partie des communes qui offrent les meilleures conditions salariales. « Nos policiers ont bénéficié de quatre valorisations salariales depuis le début du mandat. Et on prend en compte l’expérience des recrues », indique l’élue en charge du personnel. « On est quasiment au maximum de ce qu’on peut avoir pour des fonctionnaires qui restent en catégorie C, juge un fonctionnaire nantais. On peut arrondir les fins de mois de plusieurs centaines d’euros avec les heures supplémentaires. »
Les agents, souvent jeunes et mobiles, scrutent les offres des communes voisines. « Nantes propose des conditions avantageuses, il y a une forme d’aspiration des postes », note Rodolphe Amailland. « Durant notre formation, on discute évidemment salaire, indique Éric, le futur policier. Et les différences de conditions sont assez hallucinantes, entre communes. »
« C’est devenu un système de surenchère », constate un gradé.
Ce n’est pas la seule clé du succès. Les recrues veulent du concret, de l’action, des missions variées et stimulantes. « Nantes, ce sont des brigades de soirée, une brigade canine, des événements culturels à sécuriser, le soutien aux autres forces de sécurité », justifie une candidate. La ville de Loire-Atlantique peut s’enorgueillir aussi de véhicules à rendre jalouse la Police nationale.
« Une arme à feu est essentielle »
De quoi faire oublier que cette police municipale ne dispose pas d’arme létale ? « Ce n’est pas quelque chose qui apparaît primordial lors des phases de recrutement », assure Aicha Bassal. Chez les futurs agents, c’est pourtant un sujet qui tracasse : « Je crois qu’une arme à feu est essentielle, tant le danger est partout. Ce serait bien que ça arrive dans toutes les communes (environ 80 % des polices municipales sont dotées d’armes létales, d’après les données du syndicat national, N. D. L. R.). Face à certains risques, à des guets-apens, ne pas être armé peut poser de gros problèmes. La population peut aussi se demander pourquoi nous n’allons pas plus dans certains quartiers. »
La Roche-sur-Yon, en Vendée, met d’autres atouts en avant. Elle affiche une dynamique encourageante pour mener « sereinement » sa campagne de recrutement pour renforcer sa brigade cynophile. L’appel à candidatures a suscité un réel engouement : dix-sept dossiers ont été reçus. La prise de fonction est prévue au plus tard à l’automne. « C’est une excellente nouvelle, dans un contexte où le recrutement dans les forces de sécurité constitue un véritable défi pour les collectivités locales », souligne Luc Bouard, le maire (Horizons).
L’élu vante « des conditions d’exercice reconnues et appréciées » et « les facteurs d’attractivité territoriale : la position géographique privilégiée de La Roche-sur-Yon, à proximité du littoral vendéen, et une qualité de vie recherchée. »
Des communes résistent à l’attrait des voisins plus puissants financièrement « en travaillant sur le sens des missions, sur le matériel », complète Rodolphe Amailland. Ses effectifs sont au complet, à Vertou. Ce n’est pas le cas de tous. Dans les Pays de la Loire, plusieurs dizaines d’offres d’emploi sont postées sur des sites spécialisés. Certaines municipalités ne veulent pas s’afficher à visage découvert. « C’est déjà compliqué de recruter et d’attirer, confie-t-on au cabinet d’un maire de la Métropole nantaise. Alors, si on annonce à tout le monde nos difficultés, ça ne va pas aider. »