C’est un endroit de passage. De ceux qui demandent de tourner la tête pour les apercevoir. On lève les yeux vers ses tours en prenant la route du stade, on jette un œil à ses murs colorés sur le chemin de l’aéroport. Sans jamais y entrer. Le quartier des Moulins occupe l’ouest de la ville de Nice. Ce vendredi, le Premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, étaient eux aussi de passage dans la cité. En deux heures, ils ont posé leur regard sur les barres d’immeuble à la silhouette arrondie, ont validé un programme de rénovation urbaine et ont présenté la police de sécurité du quotidien (PSQ). Comme trente autres quartiers prioritaires en France, les Moulins «bénéficieront de renforts d’effectifs policiers [pour] une sécurité plus proche de la population».

«Vue panoramique»

Avec ses 3 000 logements sociaux pour 10 000 habitants, les Moulins n’ont pas toujours été ce lieu aux quatre vents, cette zone de transit que les automobilistes longent et que les ministres traversent. «Longtemps, il a été un quartier enclavé parce qu’il n’y avait qu’une seule voie pour le desservir. Et il était très dense, avec uniquement des logements sociaux sur un périmètre restreint», explique Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice des Alpes-Maritimes et conseillère métropolitaine en charge de la rénovation urbaine. Deux types de bâtiments sont sortis de terre dans les années 70 : les immeubles de quatre étages à taille humaine d’abord, les tours ensuite. «Des rapatriés d’Afrique du Nord s’y sont installés. Au début, on y vivait bien, dans de grands logements avec, au dernier étage, une vue panoramique sur la montagne et la mer», se souvient la sénatrice.

Mais au fil du temps, l’habitat s’est dégradé, les commerces ont déserté, les infrastructures publiques ont été dépassées. «Beaucoup de fonctionnaires habitaient aux Moulins pour aller travailler à côté à la préfecture, pointe-t-elle. Ils sont partis.» Et avec eux, la mixité sociale. La cité construite au milieu des champs voit la ville se rapprocher, en même temps que «l’insécurité, le vandalisme et l’économie souterraine». La ville tente une réhabilitation à 218 millions d’euros jusqu’en 2017. En vain. La délinquance s’ancre. «Même si le décloisonnement des quartiers est positif, les problèmes ne se résorbent pas du jour au lendemain parce qu’on a créé trois routes. Il faut de l’autorité et de la prévention», estime Jean-Michel Deya, président de l’association Prévention éducation sport. La ville de Nice a aussi fait tomber des tours, a construit une avenue, a entouré le quartier d’une ligne de tram, d’un commissariat et d’une pépinière de start-up. Des mesures qui auraient «dérangé certains trafics». «Cette ouverture est venue perturber l’espace de tranquillité que les délinquants s’étaient approprié, analyse Dominique Estrosi-Sassone. Ils manifestent leur désapprobation en empêchant la collecte des ordures ménagères, en bloquant le passage des secours et de la police, en vandalisant l’éclairage public et les ascenseurs.»

«Caractère meurtrier»

Pour lutter contre «les halls d’immeuble occupés, la vente à la sauvette, les rodéos sauvages», 21 policiers seront affectés uniquement pour le quartier des Moulins. «La police de sécurité du quotidien est une police sur mesure», insiste Gérard Collomb, avec «une complémentarité entre polices municipale et nationale jusqu’à construire un hôtel de police commun […] et une simplification des procédures pénales», poursuit Edouard Philippe. «Ces dernières années, on a dû faire face à des drames à caractère meurtrier qui font apparaître un sentiment d’insécurité », pointe Karim Benahmed, directeur de l’association Adam (aide aux devoirs et animation des Moulins). Alors qu’il échange avec les forces de l’ordre et les élus au commissariat des Moulins, dehors, Chems-Eddine, Shadia et Zaïneb bravent la pluie pour participer à une session basket organisée par cette même association. C’est «sur internet» qu’ils ont découvert la mort d’un homme du quartier en décembre. Et «l’agression très grave d’un fonctionnaire de police», lundi. «Hier encore, on a eu peur parce que des gens nous ont suivis. On a couru», racontent ces adolescents «du 41» et «du 42», les numéros de leurs bâtiments pour adresse : «On a un peu peur mais on a l’habitude. Plus de policiers, ça nous rassurerait.»

Marie-France habite depuis vingt-trois ans aux Moulins. «La police municipale fait ce qu’elle peut, estime-t-elle. Ce serait bien de les aider avec d’autres effectifs.» C’est que la «première police municipale de France» n’arrive pas à enrayer seule la délinquance. Une police d’Etat viendra donc renforcer la sécurisation de la ville aux 550 agents et aux 2 800 caméras. «Dans les endroits plus compliqués comme celui-ci, les caméras sont détruites moins de vingt-quatre heures après leur installation», déplore le maire LR de Nice, Christian Estrosi. «C’est la présence physique qui fera changer les choses, rétorque Paul Cuturello, élu PS à la ville qui a été conseiller général de ce canton de 1998 à 2011. A Nice, il y a un vrai problème de méthode. Les caméras guettent un délit ou un crime. Les forces de police sont organisées pour intervenir après. S’il y a une présence policière sur le terrain, ça peut empêcher les faits de se commettre.» Une présence synonyme de lien social, négligée d’après le milieu associatif : «Tout ne va pas se régler que par la sécurité. Il faut faire plus confiance au monde associatif, le rendre plus fort car il développe la médiation, accompagne vers l’emploi et vers les modes éducatifs», affirme Karim Benahmed. Des éléments de réponse abordés en coup de vent par les ministres lors de leur passage aux Moulins.

Mathilde Frénois correspondante à Nice